ONG/grand public : le fossé se creuse

Les ONG et les acteurs du monde associatif sont conscients d’un manque de proximité avec les citoyens. Ces organismes sont nombreux, leurs champs d’intervention multiples ; dans ce contexte, ils tentent de se faire entendre et d’exister auprès du public, et réfléchissent à de nouveaux modes de fonctionnement.

Le baromètre Harris Interactive, établi en 2017, mesure l’impact des réseaux sociaux pour les ONG et les liens qui les unissent à leur public.
Selon 60 % des sondés, la présence des ONG sur les réseaux sociaux est importante, voire indispensable. Cette présence leur permet de :

  • communiquer sur les causes qu’elles soutiennent
  • faire connaître leurs actions
  • augmenter leur notoriété

Si les internautes déplorent leur éloignement d’avec le monde associatif, ils demeurent attentifs à l’existence d’une transparence.

La confiance est mesurée, la question de la transparence et de la finalité de l’usage des dons reste essentielle pour les citoyens. Pour en savoir plus, consulter « Le don en confiance » – rapport annuel 2017.

48

souhaitent avoir des informations sur leurs dons

33

souhaitent avoir accès au bilan annuel des ONG

30

souhaitent être informés des interventions en temps réel

25

souhaitent avoir du contenu média sur les actions

Trop d’institution tue l’engagement

Face à des ONG de plus en plus institutionnalisées, aux discours très formatés, le public a du mal à trouver sa place. Considérées comme plus pragmatiques et transparentes que les partis politiques, portées par la participation et l’enthousiasme des activistes et des adhérents, les ONG se voient investies d’une nouvelle responsabilité militante. Leur décollage grâce à l’afflux de financements a accompagné le retrait de l’État. Elles ont été amenées à reprendre à leur charge une partie des missions de service public : aide au développement, lutte contre l’exclusion, solidarité avec les migrants, protection de l’environnement, lutte contre le réchauffement climatique…
Selon l’analyse du chercheur en sciences politiques Adrien Thomas, l’afflux de fonds publics a provoqué une institutionnalisation et une professionnalisation rapide du secteur des ONG.

L’engagement militant des bénévoles a été progressivement remplacé par le travail salarié des permanents, tendance encouragée par les bailleurs publics comme privés, ceux-ci réclamant une traçabilité et une bonne gestion des fonds investis. Un article publié sur Grotius International par Alain Dontaine, professeur en géopolitique et en sciences sociales, décortique ce double processus à l’œuvre chez les acteurs de l’humanitaire. Ceux-ci sont désormais partenaires des pouvoirs politiques. 

L’enthousiasme militant, dû entre autres à l’implication des bénévoles, s’estompe. Ce militantisme des débuts, à l’engagement désintéressé, risque de disparaître. La relation avec les adhérents se distend, et les ONG, perdant cet ancrage dans la société, finissent par n’exister que dans la sphère institutionnelle et médiatique. Certaines, conscientes du danger, cherchent depuis quelques années à retrouver leurs racines en construisant des alliances avec les mouvements sociaux (par exemple, lors des contre-sommets altermondialistes).

Ainsi, aux Rencontres de la communication solidaire de décembre dernier, Jean-François Riffaud, directeur de la communication à Action contre la faim, observait une tendance croissante : « Les ONG sont perçues comme des institutions qui ne défendent que des intérêts personnels […]. Les réseaux sociaux doivent être la clé si on veut se désinstitutionnaliserL’une des solutions serait sans doute de donner la parole à ceux qui ont le plus d’influence et d’intégrer les bénéficiaires à l’expression des combats des ONG en utilisant les réseaux sociaux. »

Par ailleurs, comme le soulignait le directeur général de Surfrider Foundation Europe, Stéphane Latxague, « le travail avec les influenceurs est envisageable pour être au plus proche de l’engagement citoyen ; cela pourrait être un autre relais ».

ONG superpuissantes, un modèle à revisiter ? Faut-il en revenir aux fondamentaux ?

Intéresser un public plus jeune

Sensibilisation, mobilisation, expertise, réseau et lobby sont autant d’éléments d’une stratégie d’influence, mais les ONG composent davantage avec les pouvoirs publics, ce qui les éloigne quelquefois des 15-24 ans. D’autant plus que, pour ces derniers, les relations avec l’univers associatif se sont distendues. Ce monde leur apparaît trop vaste, distant, peu accessible et sélectif. De surcroît, les jeunes déplorent un manque apparent de proactivité des acteurs de l’humanitaire, les ONG communiquant essentiellement pour des appels de fonds. Les sujets abordés sont complexes, et les discours sont vécus comme alarmistes ou culpabilisants.

Les ONG n’ont pas de représentants des jeunes dans leurs structures, même si les street fundraisers (collecteurs de rue), jeunes eux-mêmes et vitrines de ses associations, établissent souvent un premier contact avec le public. L’information des ONG ne les atteint pas, elle ne pénètre pas leurs lieux de socialisation. Les sites associatifs et les portails, peu connus, ne figurent pas dans leurs favoris. Au-delà de gestes ponctuels (étude Opinion Way : 43 % des jeunes déclarent effectuer des dons, 47 % signer des pétitions), on n’assiste pas à l’émergence d’un mode durable d’engagement lié au digital.

Il y a donc nécessité de retisser des liens avec les jeunes citoyens, un public particulièrement volatil, qui navigue d’une publication à l’autre et accorde peu de temps à chaque contenu. 

L’objectif est de diffuser des contenus et des campagnes chocs, telle la campagne Greenpeace de juin 2011 sur nos pratiques néfastes à l’environnement.

Influenceurs : le fil de l’émotion

Le partage, vecteur d’engagement

Les « influenceurs », par leur présence et leurs appels à l’action sur les réseaux sociaux, prennent un ascendant de plus en plus important sur la jeune génération. Ils participent désormais à certains débats publics, soutiennent de grandes causes et vont jusqu’à impulser des mouvements de solidarité indépendants des ONG.

Selon Nayla Ajaltouni, coordinatrice du Collectif Éthique sur l’étiquette, « les influenceurs sont des anonymes qui ont utilisé des codes qui touchent un maximum de personnes ; via ces codes, ils peuvent se saisir d’une cause ».
Ce pouvoir explique que des ONG cherchent à collaborer avec eux, voire à se les rallier, dans le cadre de campagnes spécifiques.

Telle situation, croisée au cours de sa vie, déterminera l’influenceur dans le choix d’une cause, selon son inclination personnelle.
Comme le souligne Jean-François Riffaud, « une situation leur disconvient, ils la dénoncent. […] On a chacun le droit d’être choqué par des injustices, quelle que soit leur nature, et chacun est armé de façon différente ».

Nombre de personnes veulent soutenir une cause, « Réactivité bienvenue ! », tel ce collectif improvisé de youtubeurs qui en appelle directement à Google, maison mère de YouTube, pour organiser une collecte. Les particuliers sont également appelés à se mobiliser, comme le relatait l’article paru dans « Les Inrockuptibles » le 30 novembre 2017, à propos d’une campagne de don au profit des Rohingyas à laquelle le footballeur Samir Nasri a participé en faisant un don de 100 000 dollars.

En s’adressant directement à leur communauté de followers, les influenceurs jouent sur le ressort de l’émotion pour susciter l’adhésion. Ils ont recours à des messages clairs, simples, adaptés au public, souvent dans un souci d’interactivité et d’immédiateté. En touchant la corde sensible de leurs abonnés, ils peuvent parfois démultiplier les effets d’une campagne en cours, éveillant l’enthousiasme du public. Il y a un effet miroir.

Les influenceurs, objets d’un phénomène d’identification, voire de mimétisme, bénéficient d’un réel pouvoir de recommandation. Selon une étude Mediakix de 2017, 82 % des internautes déclarent en effet suivre les conseils de ceux auxquels ils accordent leur confiance.

Enfin, l’influenceur est perçu comme sincère et libre de ses choix. Nouveau dans le domaine de la solidarité, il est crédité d’une vraie générosité. En toute confiance, sa communauté lui reconnaît l’intention et l’implication personnelle qui font défaut aux campagnes institutionnelles.

C’est la position soutenue par Baki Youssoufou, cocréateur de l’agence de communication Raiz, lorsqu’il évoque la « confiance du débutant » et qu’il encourage à « démystifier »  l’action publique ou associative en utilisant les réseaux sociaux pour permettre la participation de tous aux débats.

Les influenceurs incarneraient en cela un authentique engagement citoyen, par-delà des ONG nationales ou internationales perçues comme lointaines et froides.

Faire vibrer les cœurs de sa communauté, entraîner une adhésion sans faille.
C’est un exercice auquel excelle Jérôme Jarre, 28 ans, qui a appelé ses followers à se mobiliser pour la Somalie au printemps 2017. Quelques mois plus tard, à la suite de nombreuses critiques, il reviendra sur son action avec un nouveau tweet :
« We are not NGO. For us, poverty isn’t an industry. » (Nous ne sommes pas une ONG. Pour nous, la pauvreté n’est pas une matière première.)

De la culpabilité à l’empathie

Le recours à l’émotion revêt un double objectif : la prise de conscience du public et la levée de fonds. Benoît Miribel, ancien directeur général d’Action contre la faim, affirmait lors de son mandat : «  L’émotion reste un facteur essentiel de l’indignation et donc de la mobilisation pour agir. »

En quoi la culpabilisation peut-elle être un levier pour les ONG ? Une rhétorique dite « culpabilisante », appuyée sur des images bouleversantes, place le récepteur dans une position inconfortable, dérangeante. Subis et inattendus, images et messages, afin de pousser à l’action, secouent les consciences.

Une telle campagne produira deux types de comportements :

  • l’acceptation de cette émotion forte, extérieure et engageante, menant à une prise de conscience
  • le rejet du message, voire une colère, déchargée en hostilité contre l’émetteur

Dans ce contexte, l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité rappelle, dans ses règles de déontologie, l’obligation du respect de la dignité de la personne humaine.
Interrogée sur la campagne #NoExcuses, Justine Roche, responsable de la communication chez Médecins du monde, affirmait : « Une bonne campagne est une campagne qui questionne. » La volonté de Médecins du monde avec cette campagne était, selon elle, d’inviter le public à repenser la question du don, et non de choquer.

La récente campagne de Solidarités international, axée sur des messages chocs d’internautes, articule aussi ces mêmes problématiques.

Campagne d’affichage de Solidarités international dans le métro parisien, 2018

Après la culpabilisation

Depuis plusieurs années, l’hyperconsommation décomplexée est remplacée par une consommation plus raisonnée, plus responsable.

Les stratégies des communicants en sont modifiées, dans les choix de messages et de supports. Les campagnes des ONG et associations, qui s’inspiraient autrefois des médias traditionnels (presse, télé, affichage, radio, cinéma), n’échappent pas à ce phénomène.

Benoît Heilbrunn, sémiologue, professeur de marketing et consultant en stratégies de marque, décrit notre société comme entrée dans sa phase « post-publicitaire », où la publicité n’est plus l’outil de communication primordial.

Les contenus médias traditionnels sont de plus en plus relayés par le hors-média, créant avec le public un lien affectif plus direct.

Si la télé et la radio pénétraient les foyers, les réseaux sociaux, eux, se nichent dans les poches et les sacs à main de chacun, au plus près de nos intimités. 

La transposition de méthodes des médias traditionnels sur le hors-média expose ONG et associations au risque de l’exclusion des publics jeunes.

En effet, selon une étude réalisée par Médiamétrie en février 2017, les 15-24 ans passeraient encore plus de temps sur Internet que devant la télé.

Temps passé sur la TV et Internet par les 15-24 ans en 2007 et 2017

Dans ces conditions, l’action des influenceurs, quelquefois très impactante, bouscule le travail des ONG, voire génère une certaine frustration. Ainsi, Nayla Ajaltouni pointait l’incapacité des ONG à « fonctionner dans l’immédiateté et l’émotion ».

La perspective semble être, pour elles, de développer de nouveaux modes de communication intégrant mieux les attentes d’un public plus jeune, fonctionnant dans l’instantanéité.

Au-delà d’une collaboration avec eux, les ONG, en reprenant à leur compte les outils des influenceurs, pourront faire entendre leur voix distincte sur les réseaux sociaux. Elles obtiendraient ainsi l’adhésion citoyenne et l’intégration, au sein de leurs campagnes de collecte, des populations bénéficiaires.

Dans cet esprit, Care a dévoilé sa première campagne sur Instagram, autour de sept histoires, sept vies de femmes, réparties dans le monde, qui se battent contre la pauvreté.

Elles ont chacune été équipées de smartphone et formées à l’utilisation d’Instagram.

De nouvelles influenceuses qui mettent en lumière leur quotidien…

Campagne vidéo de Care, #StoriesduBoutduMonde, 2017.