Il est frappant de voir à quel point les ONG se sont professionnalisées dans leur communication.

Yonnel Poivre-Le Lohéprésident du conseil d'administration d'Enercoop

Se démarquer à tout prix

Dans un contexte ultraconcurrentiel et un monde saturé de messages publicitaires, les ONG n’échappent pas aux règles de l’économie de marché. Elles doivent user des mêmes outils de marketing et leviers de communication que les entreprises privées pour accroître leur notoriété, soutenir le financement de leurs actions, mais surtout favoriser une prise de conscience quant aux causes qu’elles défendent.

Pour atteindre ces objectifs, les ONG doivent — plus que tout autre entreprise du secteur marchand — assurer le respect des règles éthiques et des valeurs morales. Pourtant, certaines campagnes de communication dérangent, choquent, voire sont censurées.

Quelles sont les limites à ne pas dépasser ? Qui peut les  définir ? Par l’autorégulation ou par une autorité de contrôle propre aux ONG ? Deux visions s’opposent.

Les ONG misent sur l'autorégulation et la censure du public

En décembre 2016, la table ronde “Communication solidaire” a abouti à deux constats. Le premier est que l’autorégulation suffit ; le second que les professionnels de la communication savent prendre leurs responsabilités.

Les ONG attendent beaucoup du public, qui reste malgré tout l’ultime juge, comme le montre l’étude Harris interactive de 2013. Pour 57 % des Français, la dimension choquante, voire violente, des campagnes de communication des ONG serait légitime.

Plus que tout, les ONG souhaitent préserver leur indépendance et prônent la liberté d’expression.

Contrôler quoi ? Pourquoi ? Ce n’est pas le rôle de l’État ou des pouvoirs publics. L'association, c'est une liberté qu'il faut préserver.

Chantal Bruneausecrétaire générale du Haut Conseil à la vie associative (HCVA)

Les militants, les universitaires et les plus petites associations prônent une éthique forte via la création d'une entité de contrôle spécifique

Les ONG et leurs agences de communication réussissent, la plupart du temps, à toucher le public sans le choquer, tout en encourageant les dons. Toutefois, face au nombre des causes à défendre et la nécessité de se démarquer, on a pu assister à certaines dérives de campagnes de communication déstabilisantes et offensantes.

Ainsi, un Français sur trois déplore que certaines campagnes montrent des images ou des situations violentes (étude Harris interactive, 2016).

Ces campagnes peuvent atteindre à la dignité de la personne et interpeller le public pour de mauvaises raisons.

Thomas Pontirolijournaliste Stratégies 16 décembre 2016
Mediapart - 22 décembre 2015

Lettre ouverte à Médecins du monde : “Le marketing jusqu’à la nausée”

Certaines campagnes ont donné lieu à une prise de conscience de la part des militants, des universitaires, voire du public et des bénéficiaires, qui estiment que certaines limites ont été franchies et soutiennent la création d'une autorité de contrôle indépendante où les associations – voire les bénéficiaires – n’auraient pas qu'un rôle consultatif.

Marianne - 13 juin 2016

La campagne choc de Médecins du monde censurée par les laboratoires pharmaceutiques

L’exemple récent de Médecins du monde nous démontre, que derrière l'annulation d'une campagne, les intérêts ne sont pas seulement déontologiques ou éthiques. Cette campagne, visant les prix exorbitants des médicaments, dénonce les marges de l’industrie pharmaceutique et appelle le gouvernement à prendre ses responsabilités. L’ARPP (Autorité de régulation professionnelle de la publicité) aurait “déconseillé” la diffusion des images, une décision suivie par Médiatransports, puis par JCDecaux et Insert qui n'ont pas souhaité programmer la campagne.

L’ARPP déclare :

“[…] Nous attirons particulièrement votre attention sur le risque de réactions négatives que pourrait susciter l’axe de communication choisi de la part des représentants de l’industrie pharmaceutique. En effet, elles pourraient estimer qu’une telle campagne porte atteinte à leur image et leur cause un grave préjudice, et décider d’agir en ce sens.”

Si l’ARPP, qui compte parmi ses adhérents certains laboratoires, censure Médecins du monde c’est uniquement pour protéger les intérêts de l’industrie pharmaceutique.

D’où la question de la création d’une autorité de contrôle libre et indépendante. Mais de qui se composerait-elle ?

D’autres vont plus loin

Selon Renaud Fossard, responsable plaidoyer au sein de Résistance à l’agression publicitaire (RAP), les ONG sont obligées, pour se faire connaître, de rivaliser au moyen d’une publicité omniprésente. Ainsi, au lieu de parler à un citoyen, elles parlent à “un consommateur de la charité“.  Il n’y a pas de solution si on ne change pas l’environnement (la communication marchande, la société de consommation), une autorité de contrôle est nécessaire afin de réguler la publicité commerciale, de réduire le nombre de publicités et de limiter les techniques abusives, jouant sur l’émotion et la désinformation.

https://www.youtube.com/watch?v=a0sPtuRtN00

Quelles sont les autorités en place aujourd’hui ?

L’ARPP est l’organisme de régulation professionnelle de la publicité : il élabore des règles d’éthique et veille à leur application. Elle est administrée par les représentants des professions publicitaires (annonceurs, agences, médias, régies et supports publicitaires), et seules deux associations sont présentes : la Croix-Rouge et le Secours catholique.

En 2005  a été créé le Conseil de l’éthique publicitaire (CEP), instance de réflexion dont le rôle est d’anticiper les questions d’éthique dans le secteur de la publicité et les évolutions déontologiques.

En 2015, l’ARPP fête ses 80 ans et lance le chantier de l’actualisation du “Recueil des recommandations” au terme de laquelle 42 prescriptions seront modifiées ou supprimées.

Devenues expertes en communication, après quelques campagnes jugées choquantes ou inadaptées, les ONG les plus importantes préfèrent aujourd’hui conserver une indépendance et une liberté d’action pour mener à bien leurs opérations de marketing et de publicité. Elles optent par conséquent pour l’autorégulation.

D’autres ONG, de taille plus modeste, préfèrent passer par le filtre de l’ARPP. Pour valider leur campagne, elles font confiance à cette autorité composée de la majorité des plus importantes entreprises du marché.

Restent les associations, les chercheurs et les universitaires, qui, eux, réclament la création d’une autorité indépendante pour réguler les campagnes, dans le respect des parties prenantes.

La communication est fondamentale et doit préserver les valeurs du respect de la dignité de l’homme, tout en restant efficace.

Un défi qui semble bien difficile à relever pour les acteurs du secteur des ONG.