Une protection pour le communicant d’ESS? Un état des lieux

Journalistes, professionnels du domaine de la santé (pharmaciens, biologistes, médecins) ou du droit (huissiers, notaires, avocats), tous bénéficient d’une réglementation de leurs fonctions, édictée par des textes de déontologie. Des repères qui donnent une orientation quant à la bonne pratique de leurs activités et sont les garants de leurs droits et de leurs devoirs.

S’il existe des textes de déontologie s’appliquant au secteur de la communication, aucune charte ne protège le communicant de l’économie sociale et solidaire (ESS) dans l’exercice de son métier.

L’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) donne une liste de recommandations applicables à la communication des ONG, qu’il s’agisse d’appel à la générosité du public ou de développement durableParmi ses préconisations, l’organisation incite au respect de la dignité des personnes dans les publicités : “Les illustrations ne doivent pas exploiter abusivement l’image de la détresse humaine.”

Campagne Unicef : “Je suis un enfant, pas une cause perdue.”

L’ESS a, elle aussi, une volonté de réguler son secteur d’activité. Ainsi, Ideas, association d’intérêt général dont le but est de “faire se rencontrer les attentes des philanthropes et celles des associations et des fondations faisant appel au don”, publie en 2008 un guide de bonnes pratiques. Il couvre trois champs : la gouvernance, la gestion financière et l’efficacité de l’action. Un an plus tard, la Compagnie nationale des commissaires aux comptes, le Conseil supérieur de l’ordre des experts-comptables et la Caisse des dépôts fondent le label Ideas. Délivré pour trois ans, il atteste du niveau de conformité de l’organisme aux critères établis par le guide.

Par ailleurs, le comité de la charte du Don en confiance délivre un label qui est une garantie pour les bienfaiteurs. Ses principes fondateurs sont le respect du donateur, la transparence, la recherche d’efficacité, la probité et le désintéressement.  

Ces initiatives concernent surtout donateurs et bénéficiaires engagés dans les actions menées par les ONG. Mais qu’en est-il de la protection des communicants ? Porteraient-ils l’entière responsabilité d’une communication éthique ?

Entre contraintes économiques et défense d’une cause

Le communicant de l’ESS est au service de la cause d’une ONG, comme le journaliste œuvre au service de l’information. Son rôle : promouvoir le mandat de l’association et le faire connaître sur la place publique. Cette double mission peut parfois conduire à des contradictions. Doit-il informer le public ou n’être qu’un outil au service du marketing ?

Philippe Merlant, journaliste et coauteur avec Tatiana Kalouguine de l’ouvrage Informer… sans être journaliste, met en évidence ce conflit interne :

Quand la collecte de fonds, le marketing et la communication dépendent du même service au sein d’une ONG, cela peut être une source de conflit.

Ainsi, lorsque la communication est réduite à n’être qu’un outil pour lancer une campagne de collecte, le professionnel jouera sur l’empathie, l’image choc qui fera réagir ses donateurs. Le publicitaire se substitue au communicant. La séduction prime sur l’information.

Pour transmettre un message dans un temps record, la publicité fait référence à des stéréotypes. On en a tous bien sûr, mais ils ont été renforcés dans notre imaginaire collectif, notamment par les ONG. Quand on parle de famine, on pense directement à un enfant africain décharné. Le problème, c’est quand on construit un univers de communication et de collecte toujours basé sur ce registre. La répétition des stéréotypes pose question.

Anne Degroux,responsable de la communication à Action contre la Faim (ACF) de 2011 à 2016

Anne Degroux fait référence à la campagne polémique réalisée en 2011 pour ACF par Frank Tapiro, publicitaire à l’agence Hémisphère droit. Le spot ci-dessous joue sur deux tableaux : le cynisme et la culpabilité.

https://www.youtube.com/watch?v=SGqNBSIXD7g

Ce film s’inscrit dans une campagne de collecte qui fut efficace à court terme pour répondre à une situation d’urgence. Le communicant ne devrait-il pas s’interroger sur les effets d’une campagne à moyen et à long terme ?

Ici l’émotion prend le pas sur l’information. Le public n’apprend donc rien sur la crise humanitaire ni sur la cause défendue par ACF.

Le rôle du communicant consiste aussi à relayer la politique de partenariat de l’ONG. De nouveau, un problème se pose : défend-il le mandat de la structure quand il valorise une entreprise dont les pratiques vont à l’encontre de la cause défendue ? Le communicant oscille alors entre le devoir d’informer et les contraintes qu’on lui impose en interne. Le risque ? Faire de la communication publicitaire et non informative.

Prenons l’exemple d’ACF : l’ONG dénonce les pratiques de certains groupes agroalimentaires, considérés comme des “affameurs” de petits producteurs, et noue en même temps un partenariat avec Lesieur. Cela soulève des questions d’ordre éthique.

Le communicant ne devrait-il pas s’en tenir à informer le public plutôt que de mettre en avant la politique de marketing et de partenariat de l’association­ ? Une charte propre au communicant d’ONG permettrait de protéger communicant et donateur de toute pression, en garantissant une communication informative et vertueuse.

Vers une charte de déontologie pour le communicant de l’ESS?

Certaines ONG ont leur propre charte de déontologie, c’est le cas de Handicap International. Cependant, ces textes concernent essentiellement leur mandat et leurs valeurs et ne couvrent pas le champ de la communication.

Coordination SUD (Solidarité urgence développement), réseau de plus de 160 ONG françaises, a rédigé une charte de déontologie centrée sur la question du mandat. Mais celle-ci n’apporte aucun éclairage sur les bonnes pratiques du communicant.

Philippe Merlant soutient l’initiative d’une charte propre à la profession :

Dans l’ouvrage Informer… sans être journaliste, les deux auteurs s’interrogent sur les questions de droit et de déontologie qui concernent l’informateur citoyen. Selon eux, ce dernier, même s’il n’est pas un professionnel certifié, est soumis aux mêmes règles que le journaliste.

Il leur manque souvent quelques ingrédients pour répondre à la définition d’une véritable information, à commencer par l’originalité, la précision et la vérification […]. Ces contraintes un peu formelles sont la base de la relation de confiance entre un émetteur d’information (média) et son audience.

Philippe Merlant et Tatiana Kalouguine,Informer… sans être journaliste, guide pratique et éthique en 50 questions, hors-série coll. “journalisme responsable”, mars 2017.

Certains professionnels s’opposent à la création d’une charte de déontologie spécifique au communicant de l’ESS. Isabelle Gougenheim, présidente de l’association Ideas, l’un des organismes les plus influents de l’ESS, estime que les ONG sont soumises à suffisamment de contrôles administratifs et fiscaux. Ajouter une charte ne ferait que ralentir un mode de fonctionnement déjà complexe.

Entre détracteurs et défenseurs, la création d’une charte de déontologie destinée au communicant d’ONG s’inscrit dans un débat récent. Peut-on fixer un cadre pour protéger le professionnel et son public de toute pression marchande ? Informer les citoyens sur une cause plutôt que la vendre au consommateur, n’est-ce pas la mission du communicant : être le garant des valeurs et du mandat de l’ONG ?