Communication et ONG : Mirella von Lindenfels, précédemment directrice du programme médias et audiovisuel d’ Amnesty International est actuellement Directrice de « Communications Inc Ltd »
Fragmentation de l’audience, internationalisation des médias et vitesse de la couverture de l’actualité : des défis pour les ONG internationales. Pour sensibiliser le grand public aux causes qu’elles défendent, les organisations non gouvernementales doivent leur assurer une couverture médiatique efficace, seul moyen de toucher un public nombreux, d’attirer son attention et de mettre les autorités face à leurs responsabilités. Cela leur permet de renforcer leurs troupes, de collecter des fonds, de donner à leurs campagnes de sensibilisation le retentissement nécessaire et de susciter les changements espérés.
Amnesty International, à l’instar d’autres ONG, figure régulièrement en tête des sondages destinés à déterminer à qui le public accorde sa confiance, loin devant les gouvernements et les grandes entreprises. Ces résultats sont la preuve que les campagnes médiatiques portent leurs fruits.
Tendances
Au cours des vingt dernières années, diverses tendances se sont manifestées, avec des répercussions plus ou moins importantes sur la capacité des ONG à assurer la couverture médiatique de leurs causes.
Un défi majeur se pose désormais à nous : celui du nouvel ordre de la communication, qui se manifeste par un ensemble de tendances et de changements axés sur les nouvelles technologies, avec trois principales répercussions. La première est la fragmentation de l’audience, la deuxième est l’internationalisation des médias et la troisième l’importance croissante de la vitesse de réaction dans la couverture de l’actualité.
Il s’agit d’un véritable séisme, dont la première onde de choc nous a déjà atteints et qui risque d’exclure les ONG du monde médiatique et de compromettre l’efficacité des campagnes que nous menons. Les ONG internationales risquent en effet d’être les premières victimes de ce phénomène, dans la mesure où elles sont présentes sur la scène internationale et doivent faire entendre leur voix dans les médias de masse du monde entier.
Les phénomènes de convergence, de prolifération et de «narrowcasting», les nouvelles formes d’accès (téléphonie mobile, sociétés de presse internationales, chaînes d’information en continu, etc.) ne sont que quelques-uns des principaux facteurs qui expliquent la fragmentation de l’audience. Les sources d’information, dont le nombre ne cesse de croître, doivent en effet être accessibles à une quantité toujours plus grande d’utilisateurs.
Jusqu’à présent, pour toucher notre public cible, il suffisait de veiller à ce que nos informations soient diffusées lors du journal télévisé du soir, sur les programmes radio les plus écoutés ou dans quelques grands quotidiens nationaux. Cela n’est plus le cas et ce phénomène devrait même s’accentuer à l’avenir. Les habitudes des téléspectateurs et auditeurs ont considérablement évolué et ceux-ci n’attendent désormais plus le traditionnel bulletin d’information du soir pour prendre connaissance de l’actualité. Ils veulent pouvoir être informés à tout moment, via Internet, la télévision ou leurs téléphones portables. Une gamme étendue de plates-formes d’accès s’offre à eux : journaux en ligne accessibles partout dans le monde, chaînes d’informations spécialisées, sites alternatifs. Le public devrait même bientôt être en mesure d’obtenir uniquement les informations qui l’intéressent.
Plates-formes multiples
Comment être présents sur toutes ces nouvelles plates-formes et toucher le public ? Comment connaître l’importance du nombre de personnes que nous réussirons à intéresser ?
Amnesty International compte des bureaux dans près de 80 pays. Notre objectif est de diffuser un message unique, convaincant, cohérent et efficace, dès que les droits de l’homme sont en jeu, ce qui est le cas quotidiennement. Cette équation se pose à nous comme à de nombreuses autres organisations internationales et nous déployons les efforts nécessaires pour relever ce défi d’autant plus grand que l’on assiste actuellement à une internationalisation progressive des médias.
À l’instar d’autres ONG d’envergure internationale, Amnesty applique une stratégie médiatique pays par pays. Le siège de l’organisation se charge de diffuser des informations aux bureaux nationaux de l’organisation, eux-mêmes en liaison avec les médias de leurs pays respectifs. Les procédures sont établies à l’échelle nationale. Le bureau français d’Amnesty, par exemple, n’est pas habilité à se mettre en rapport avec les médias américains, et vice versa.
Ce dispositif semble rigide, mais a prouvé son efficacité, notamment pour la cohérence des informations et pour s’assurer que nous sommes en mesure, sauf exception, de gérer un flux d’informations important au siège de l’organisation. Cette structure montre cependant progressivement ses limites.
Nouvelle approche
À l’heure de la mondialisation, une nouvelle approche médiatique doit être mise en ouvre. Partout dans le monde, les médias sont de plus en plus interconnectés et l’opposition entre médias nationaux et internationaux est dépourvue de toute signification. L’influence du «Monde», par exemple, dépasse largement les frontières de la France, dans la mesure où le quotidien compte des lecteurs dans toute l’Afrique francophone. De même, l’influence des grands journaux britanniques ou américains ne se limite pas au territoire national, ceux-ci assurant régulièrement une couverture internationale de l’actualité. Quant à Sky News, doit-elle être considérée comme un média national dans la mesure où elle est diffusée de Grande-Bretagne ou comme une chaîne internationale en raison du nombre de pays dans lesquels elle est diffusée ? Qu’en est-il d’«Al Jazeera» ? Que dire de «Newsweek» ou de «The Economist», disponibles dans les aéroports du monde entier ?
Le siège d’Amnesty définit la politique globale de l’organisation et identifie les moyens d’assurer une couverture médiatique moderne et novatrice. Amnesty doit donc être en mesure d’accéder efficacement à tous les médias, partout dans le monde. Cela se traduit notamment par la nécessité de veiller à la cohérence des informations. Il nous faut donc parvenir à un consensus global et assurer la continuité des données relatives à Amnesty, tant au niveau des activités de l’organisation qu’en ce qui concerne les causes qu’elle défend. Ce principe peut cependant être remis en cause, si chaque bureau national diffuse ses propres informations ou fixe des priorités différentes de celles établies par le siège d’Amnesty.
Le risque est de voir les informations diffusées par Amnesty relayées par les médias du monde entier dans la confusion la plus totale, certaines d’entre elles faisant les gros titres, d’autres finissant aux oubliettes. Ce phénomène s’est déjà manifesté et peut affecter toute ONG qui n’affronterait pas le problème dès à présent. C’est pourquoi, si le bureau d’Amnesty au Pakistan dissémine des données erronées concernant l’utilisation de la torture en Norvège et si un journal pakistanais répercute ces informations, il y a de fortes chances que les médias norvégiens aient connaissance d’une telle situation. Ce scénario s’est en effet déjà produit. De même, il peut être embarrassant que le bureau de Mexico adopte une position différente de celle du bureau de Beyrouth concernant une déclaration des Nations-Unies. Ce cas n’a pas eu lieu au sein d’Amnesty, mais ailleurs.
C’est une mission ardue qui attend AI, qui consiste à définir un nouveau mode de communication, applicable aussi bien par le siège de l’organisation que par ses différents organes nationaux. Les bureaux d’Amnesty font appel aux médias de leurs pays respectifs pour sensibiliser l’opinion au problème des violations des droits de l’homme et les sollicitent également pour collecter des fonds.
Vitesse de réaction
Dernière conséquence du nouvel ordre de la communication : l’importance croissante de la vitesse de réaction dans la couverture de l’actualité. Ce facteur n’est pas nouveau, mais il reste problématique pour de nombreuses ONG, dont le secteur communication dispose souvent d’effectifs insuffisants.
Les médias fonctionnent 24 heures sur 24, directement ou par le biais de leurs sites Internet. Les informations doivent désormais être diffusées pour ainsi dire en temps réel, du cour des événements, alors qu’il y a quelques années à peine l’acheminement et le montage des sujets prenaient un temps considérable. Dès qu’un événement se produit, les médias doivent être prêts à réagir et à fournir différents points de vue, indispensables à un décryptage de l’actualité.
Si elle entend ajouter son grain de sel, une ONG doit réagir rapidement et de manière pertinente, de jour comme de nuit. Amnesty a ainsi mis en place, dès le début du conflit en Irak, un service de presse fonctionnant 24 heures sur 24, seul moyen de garder un oil attentif sur le déroulement des événements et d’accorder une attention privilégiée à la situation des droits de l’homme dans ce contexte, l’actualité étant alors dominée par les informations militaires. Les bureaux d’Amnesty aux États-Unis et en Nouvelle-Zélande ont uni leurs efforts à ceux du siège de l’organisation, afin de suivre l’actualité en temps réel et pouvoir réagir promptement, à toute heure du jour et de la nuit. Nos collaborateurs chargés des relations publiques ont également travaillé le week-end, afin de tirer pleinement parti de l’espace qui est disponible durant cette période. Pour l’heure, il n’est ni réaliste ni envisageable de procéder de cette manière à long terme, même si ce mode de fonctionnement mérite d’être étudié plus attentivement.
Défis
En harmonie avec l’approche globale développée au sein d’Amnesty, nous comptons relever ce défi par des moyens efficaces et rigoureux. Nous avons déjà constaté que le nouvel ordre de la communication pose de nombreux problèmes, mais ouvre également de nouvelles perspectives, notamment pour ce qui est de la stratégie de marque et de la politique de communication.
Nous ne sommes pas les seuls auxquels se posent ces défis et nous sommes disposés à échanger nos expériences et nos idées avec d’autres organisations. Dans ce but, AI a organisé une conférence destinée aux ONG internationales, une occasion d’aborder ces problèmes. Organisée en collaboration avec le Centre for Strategy and Communication (CSC) et l’Institute for Contemporary Art, cette conférence a rassemblé des patrons de médias (BBC, APTN, «Al Jazeera») ainsi que de hauts responsables des Nations Unies, des universitaires de premier plan et des spécialistes des médias, qui se sont penchés sur les derniers développements du secteur et ont identifié leurs conséquences pour les ONG. Les responsables de la communication de nombreuses ONG internationales étaient présents à cette occasion. Ils devraient être appelés, dans un avenir proche, à identifier les conséquences de cette évolution pour les relations publiques.
Ces défis marquent un tournant dans l’histoire des relations publiques. Ils nécessitent l’élaboration d’une nouvelle vision ainsi qu’une grande ouverture d’esprit. Ils offrent également l’occasion de repenser notre politique et notre mode de fonctionnement, une chance rare dans une vie professionnelle.
Article initialement publié dans «Frontline», revue trimestrielle de l’International Public Relations Association.
(www.ipra.org) (www.amnesty.org)