Antoine Vaccaro « Le Marché digère tout, même les codes de la communication sociétale »
CURSUS UNIVERSITAIRE
Doctorat de 3ème cycle : Science des organisations – Gestion des économies non-marchandes, Université de Paris-Dauphine, 1985.
ACTIVITÉ PROFESSIONNELLE
Président du Cerphi (Centre d’étude et de recherche sur la philanthropie)
Vice-président de TBWA\Corporate, co-directeur de \Non-Profit. Fondateur de l’agence Excel. Parcours professionnel dans de grandes organisations non gouvernementales : Fondation de France, Médecins du Monde.
Chargé de cours : Celsa, UMA.
Co-Fondateur de :
- Club des fundraisers (Association Française des fundraisers) 1988
- le comité de la charte de déontologie des organismes faisant appel à la générosité publique, 1991
- Euconsult, european consult firm for non profit organisation 1992
PUBLICATIONS :
- « Communication et collecte de fonds » Editions Chopin 1987, L’argent du Coeur, Ouvrage collectif sous la direction de Nicolas Dufourcq 1999. ed Hermann.
- « Essai sur le financement privé des organisations Caritatives ou de Recherche » Thèse de 3ème cycle Paris Dauphine 1986
Communication Sans Frontières :
Vous êtes très investi depuis de nombreuses années dans la communication solidaire. Pouvez vous nous dire en quoi consiste vos activités principales dans ce domaine ?
Antoine Vaccaro
Trois champs : Concevoir élaborer et mettre en ouvre des campagnes de :– communication institutionnelle portant sur la promotion des causes sociales, leur combat et leur objet social, sur le changement d’attitudes et de comportements.
– communication de « marque » des organisations non marchandes, qui au même titre que les marques industrielles et commerciales doivent gérer leur notoriété et leur image
– communication de collecte de fonds.
CSF :
Quel est aujourd’hui votre regard sur l’activité du tiers secteur et plus particulièrement sur la communication du monde associatif dans notre pays ?
AV :
Un secteur en pleine croissance. Comme le prophétise Bill Clinton, « le monde appartient aux ONG ». Dit autrement par Peter Drucker, Benjamin Barber, Jérémy Rifkin, Alvin Toffler nous sommes entrés dans l’ère de la reprise en main de l’intérêt général par la société civile et le tiers secteur. Ce mouvement est favorisé par la révolution Internet, la blogosphère, les préoccupations environnementalistes, éthiques, droits de l’hommistes etc. et une certaine méfiance du discours politicien, de la mondialisation et du marché qui digère tout !Les individus sont à la recherche de sens et à cette aspiration correspond la montée en puissance d’une communication sociétale portée par le tiers secteur qui tente de réintroduire du sens, des valeurs. En bref une vision de la société et du vivre ensemble. Voir émeutes dans les banlieues, refus des OGM etc.
CSF :
Quelles sont les différences majeures entre les pays d’Europe et en particulier en Angleterre dont on entend souvent dire qu’elle serait en avance sur les autres pays Européens dans la communication solidaire ?
AV :
On a l’habitude de tracer une ligne de clivage, entre le nord de l’Europe anglo saxon et le sud latin. Je rajouterai un clivage est-ouest. Commençons par le clivage est-ouest. Les pays d’Europe de l’Est, privés d’expression associative tentent de rattraper à grande vitesse leur retard et cherche à mettre à niveau leur tiers secteur ; aidés en cela par un certain nombre de structures privées : fondations, ou onusiennes : banque mondiale. Voir la vivacité des créations d’associations et de fondations communautaires en Pologne, Tchéquie, Hongrie etc. Les sociétés civiles de ces pays copient plutôt le modèle anglo saxon que latin : recherche de résultats, d’efficacité.Le clivage nord-sud au sein de l’Europe, montre une société civile plus aguerrie, moins complexée face à l’Etat et au marché au Nord, et encore un fort assujettissement envers l’Etat au sud. Les dons privés sont 5 fois plus importants en GB qu’en France. La plus grosse ONG Britannique est 10 fois plus puissante que la première française.
La communication du tiers secteur britannique est plus débridée et ose beaucoup plus volontiers qu’en France, par exemple. Voir les campagnes sécurité routière, lutte contre les violences conjugales, les campagnes de plaidoyer. Il est vrai que le secteur britannique est plus indépendant de l’Etat qu’en France.
CSF :
Benoît Heilbrunn déclarait dans nos colonnes : « L’économie solidaire ne pourra montrer qu’elle est empreinte d’une finalité spécifique que si elle développe des techniques de communication inédites ». Quel est votre sentiment à ce sujet ?
Je suis parfaitement d’accord avec ce propos. Je pense que reste à inventer des modes de mobilisation et de communication spécifiques. Mais attention, car à peine esquissés le marché s’en empare. Le Marché digère le tout. Même les codes de la communication sociétale. Regardez les campagnes des magasins Leclerc, qui reprennent les codes des manifestations de 68. La seule issue : avoir un quart d’heure d’avance sur le marché et le garder.
CSF :
De nouvelles techniques de collecte tel le street fundraising ont fait leur apparition. Ne pensez-vous pas qu’elles participent à la démobilisation de bénévoles dans le cadre de leurs engagements citoyen et solidaire et de les rabaisser à une relation purement mercantile?
AV :
La crise du bénévolat est antérieure à l’avènement de ces nouvelles techniques de collecte de fonds. La crise du bénévolat touche d’ailleurs des secteurs qui ont peu recourt à ces techniques. Je pense notamment au bénévolat en milieu sportif amateur, qui connaît une vraie crise des vocations pour accompagner les jeunes.Les associations humanitaires, sanitaires et sociales arrivent au contraire à bien recruter. Ne citons ici que les associations de patients, depuis la survenue du sida, qui connaissent un fort recrutement.
CSF :
Quelles sont les techniques les plus en pointe aujourd’hui dans la collecte de fonds et celles qui vous semblent poser le plus de questions éthiques ?
AV :
La tarte à la crème actuelle c’est le street fundraising. Le télémarketing a aussi le vent en poupe, mais nous attendons tous le basculement général vers le tout numérique, internet, téléphonie mobile etc.Pour l’heure, le mailing garde la préférence des associations et des donateurs.
Les questions d’éthique se posent pour tous ces outils à différents degrés. Le mailing est moins intrusif que le téléphone, et moins personnalisé que le street fundraising. la véritable question porte sur la sincérité de l’appel, la qualité de l’action sur le terrain et la tenue de la promesse qui est faite au donateur. N’oublions pas qu’une association c’est avant tout un contrat entre différentes personnes : militants, adhérents, donateurs et les personnes aidées. Le contrat d’éthique doit être passé entre ces différents protagonistes.
CSF :
Selon un sondage CSF-NOVATRIS auprès des Français , lors du tsunami en Asie du Sud- Est, les Français estiment comprendre l’action des associations mais la majorité d’entre eux aimeraient qu’il existe un organe de régulation pour assurer la coordination des dons et de la médiatisation. Qu’en pensez-vous ?
AV :
Les Français critiquent sans cesse l’Etat, son appareil et ses fonctionnaires mais en attendent tout.Comme le regrettait A de Tocqueville : » les Français aiment l’égalité jusqu’à l’asservissement ».
Oui, on ne peut que demander de la coordination, mais c’est une recherche sans fin. A quand la demande de coordination des coordinateurs. Cette aspiration repose sur un constat de défiance générale contre toute initiative privée, marchande ou non marchande. Elle fait écho au refus systématique de la prise de risque de l’acceptation de l’erreur et de la confiance donnée à l’entrepreneur (social, ici !)
CSF :
Vous avez été membre du Jury du premier Grand Prix de la Communication solidaire dans notre pays et avez un regard de plusieurs années sur la communication non marchande. Quelle est selon vous l’évolution des problématiques et des messages des campagnes de communication des associations depuis une dizaine d’années ?
AV :
D’être vues. !
Le problème de l’espace est crucial. Si on découpe le budget communication (base 100) d’une association d’une certaine taille on distingue,:– la communication institutionnelle, qui passe essentiellement par les relations presses, pour 5 % du budget
– la communication de marque et de « produit » : 15 %
– la communication de collecte de fonds 80 %
Les associations réservent peu de moyens à la publicité, par exemple, en espérant pouvoir négocier la création et l’espace. Ce à quoi elles parviennent bon an mal an.
Mais, dans un tel schéma, elles sont dépendantes du bon vouloir de l’agence partenaire et des régies chargées de trouver l’espace.
Dans un tel système de pro-bono permanent, les exigences des associations sont vite rabotées. Il est difficile de critiquer des propositions de créations qu’on vous offre gentiment. Dans certains cas, le message qui était diffusé représentait beaucoup plus la pensée du publicitaire que celui de l’association.
Depuis dix ans, la prise de conscience de la nécessité de professionnaliser cette partie de la communication, en rapport avec la prise de conscience de la montée en puissance des marques associatives, fait progresser le tiers secteur. On voit aujourd’hui de plus en plus de grandes campagnes de communication du niveau de l’entreprise; Avec 100 fois moins de moyens quand même !
CSF :
Existe t-il des recettes pour mener une bonne campagne de communication pour les associations aujourd’hui ?
AV :
Oui, comme pour l’industrie, avoir une idée !Plus sérieusement, il s’agit d’appliquer la même grammaire que pour tout annonceur, dans l’énoncé : des objectifs, du choix des cibles, des contraintes externes et internes, des moyens etc. Et comme nous l’avons vu plus haut, en étant un peu plus insolent sans doute que dans le privé marchand.
CSF :
Quelles sont les limites à ne dépasser dans la communication non marchande ?
AV :
Primum non nocere !Le respect des personnes, de leur dignité. Que la promesse énoncée soit en rapport avec ce que l’organisation peut délivrer comme prestation. Ne pas leurrer le public. Je pense aux premières campagnes de lutte contre le sida qui ne disaient rien de la prévention par le préservatif.
CSF :
Pensez-vous que le nom et l’image d’une association puissent se gérer désormais comme ceux d’une marque ? Si oui pourquoi la communication des associations dans les médias n’est pas régit – à minima – par les même garanties que celles des marques commerciales afin de protéger les consommateurs et en ce qui nous concerne les donateurs?
AV :
Je suis convaincu depuis longtemps qu’une marque associative doit être gérée comme une marque industrielle et commerciale. Cela n’est pas encore totalement admis dans le secteur associatif qui fait de la prose sans le savoir !Mais cette conscience progresse, dans le milieu associatif comme dans l’opinion. Voir le palmarès des dons pour le Tsunami !
De façon corollaire va se poser la question de la protection des donateurs comme c’est le cas pour les consommateurs et les actionnaires. Je pense que naîtra un de ces jours une association baptisée : « 60 millions de donateurs ».
CSF :
Vous avez dénoncé dans Libération l’attitude du MAE dans l’opération « un bateau pour le Liban ». Pouvez-vous nous rappeler les dangers que vous aviez cernés dans cet article ?
AV :
Le mélange des genres !L’argent est chez les particuliers et les entreprises. Il n’y pas de grande élasticité dans les finances de l’Etat. Donc la tentation est grande d’aller chercher les fonds dans la poche des donateurs ! Et quand on sait comment l’Etat gère ses finances, il y à craindre pour la confiance et la transparence.
L’autre risque est de voir l’Etat se poser en centralisateur -coordinateur de la collecte de fonds privés.
CSF :
L’accès aux médias des Ong est un problème majeur dans notre pays. Aucune règle n’est établie pour permettre une transparence dans cette relation. Pensez-vous que l’on puisse y remédier ?
AV :
Oui c’est une demande récurrente des associations. Le rapport rendu par l’institut Montaigne en a fait l’une de ses recommandations. Dans un récent rapport que j’ai remis à l’AFD, « pour de nouvelles sources de financements privés pour les ONG », je prenais l’exemple des pays anglo-saxons qui ont assez bien géré cette question.
CSF :
Les donateurs nous font régulièrement part de leurs agacements dans les techniques de récolte de dons et de sollicitation. Pouvez-vous nous éclairez sur ces phénomènes qui pourraient déboucher sur un rejet mécanique des appels aux dons ?
AV :
Je ne crois pas à un tel rejet, mais plutôt à des déplacements vers des formes nouvelles, perçues comme moins intrusives. Internet, par exemple, peu changer le paradigme actuel !
CSF :
La générosité peut être définie comme une liberté, l’affirmation d’un engagement personnel, une prise de position en faveur d’une cause. L’acte de don peut-il être vu comme un vote ou une forme d’engagement politique ?
AV :
Je disais déjà cela dans la conclusion de ma thèse en 1986« On aboutit ainsi à opposer dans le projet associatif la démocratie participative à la démocratie par le don. Au schéma traditionnel de fonctionnement de l’association qui repose sur le triptyque : associés-volontaires-bénèvoles vient se greffer un autre mode de fonctionnement qui s’appuie sur la dynamique donateurs-concommateurs-professionnels ».
20 ans après, je pense que c’est bien un acte de consommation.
CSF :
Depuis cette année, le traitement des fichiers de personnes par les associations n’est plus soumis à une régulation de la CNIL ( Commission Informatique et Liberté). Ne trouvez-vous pas cela paradoxal et dangereux ?
AV :
Je ne le savais pas. Si c’est le cas, je trouve çà dément !Alors que l’on entre dans une ère d’hyper contrôle, d’investigations via toutes sortes de fichiers, que nous sommes contrôlés de tous cotés : internet, téléphonie mobile, carte de paiement etc, je trouve curieux cet abandon de prérogative de la cnil, par rapport au secteur associatif.
CSF :
Qu’est ce qui vous révolte le plus aujourd’hui ?
AV :
La place omniprésente de l’Etat dans les questions d’intérêt général, sa faillite dans la capacité à assurer la cohésion sociale, le gaspillage de richesse et l’immensité de la tâche à accomplir pour rendre cette société plus douce pour les plus démunis laissée aux associations, sans les moyens qui doivent aller avec !
CSF :
Et ce qui vous satisfait ?
AV :
Le courage tous ces anonymes qui chacun à leur place rendent la vie des autres moins désespérante : les pompiers, les infirmières, les sauveteurs en mer.
Propos recueillis par Georges Paul.
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