DANIEL BRUNEAU « Cette catastrophe tout à fait exceptionnelle a entraîné un élan de générosité tout aussi exceptionnel »
Daniel BRUNEAU a été délégué général d’une association dans le secteur socio-culturel-patrimoine (REMPART) puis directeur du développement des ressources de l’Association des paralysés de France (1988 à 2000) avant de prendre la direction du Comité de la charte dont il a été l’un des fondateurs en 1989. Directeur du Comité de la charte dont il a été l’un des fondateurs en 1989.
Il rejoindra prochainement le groupe des Petits frères des pauvres pour prendre en charge la recherche de fonds de cette structure. Il a été aussi fondateur et président de l’UNOGEP, Union nationale des organisations faisant appel à la générosité du public (1998-2003).
Communication Sans Frontières®
Face à la « catastrophe du siècle » que fut le tsunami, pouvez-vous nous dresser un bilan de la récolte de fonds pour l’Asie?
Daniel Bruneau
Cette catastrophe tout à fait exceptionnelle a entraîné un élan de générosité tout aussi exceptionnel.
C’est très réconfortant. De quoi faire mentir les esprits chagrins qui prétendent que la générosité baisserait. Aujourd’hui, je pense que nous avons dépassé les 250 millions d’euros de fonds collectés en France auprès des particuliers et des entreprises.
CSF
Comment la déontologie que vous vous êtes fixée dans vote charte ( charte ) fixant des règles de bonnes pratiques pour la collecte et la gestion des dons a t-elle pu s’exercer pendant cette période ?
DB
En fait, nos textes déontologiques – qui préexistaient à l’événement – , se sont révélés adaptés à la situation. Nous avons des règles claires, concernant l’affectation des fonds, par exemple, qui s’appliquent parfaitement, de même que sur la transparence financière. Il suffit de veiller à leur application. Nos censeurs ont reçu des consignes en ce sens. Mais les organisations collectrices agréées par le Comité sont parfaitement conscientes de leurs responsabilités. Une vingtaine ont été plus ou moins impliquées dans l’aide aux sinistrés; elles ont recueilli au moins 200 millions d’euros. C’est dire aussi le poids du Comité. Eu égard à l’importance des dons collectés par les plus importantes d’entre elles, nous leur avons demandé de renforcer l’information vis-à-vis de leurs donateurs et du public sur l’emploi des fonds. Nous réfléchissons d’ailleurs à des initiatives collectives dans ce domaine.
CSF
Est-ce qu’un contrôle comme celui que vous exercez pourrait être mis en place systématiquement face ce type de situation ?
DB
Notre contrôle sur les organisations agréées s’exerce de manière permanente tant pour les collectes courantes que les collectes exceptionnelles…
CSF
Que pensez-vous de la posture de MSF qui a décidé d’arrêter sa récolte de fonds en cours de collecte et en plein appel aux dons ?
DB
Personne ne peut faire grief à Médecins sans frontières d’avoir considéré qu’il avait suffisamment de fonds pour son action qui se situe quasi exclusivement sur l’urgence médicale. C’est même plutôt sage.
Ce qu’il l’est sans doute moins, c’est de ne pas avoir expliqué au public qu’au-delà de l’urgence, d’autres organisations agissaient et avaient encore besoin de fonds. Et ce qui est encore plus dommageable c’est la polémique qui s’en est suivie et qui a donné lieu à des débordements regrettables de toutes parts.Que certaines considèrent que les associations ne sont utiles que dans les phases d’urgence est pour le moins étonnant. C’est nier tout le rôle qu’elles peuvent avoir dans le processus de développement et aussi dans la production de lien social. C’est la capacité de la société civile, locale ou mondiale, à s’organiser librement et à agir aux côtés des Etats et des organisations intergouvernementales qui est en jeu.
CSF
Comment voyez-vous l’avenir de ce type d’activité face aux obligations de transparence, de traçabilité et de bonne délivrance?
DB
Il n’existe pas de contraintes telles que cela empêche de collecter. Heureusement. Il n’y a aucun maximalisme à avoir; les règles du Comité ne le sont pas (voir texte d’application de la charte 3.1) mais il faut s’interroger sur le « contrat » que l’on passe avec le donateur. La transparence permet beaucoup de choses, y compris de « réaffecter » des dons quand on ne peut faire autrement. Faut-il s’expliquer avec le donateur qui peut sans doute comprendre (cf. sondage TBWA). Le faire sans le dire, c’est créer une rupture dans la confiance. Il y a tout un travail d’explication à faire auprès des donateurs pour éviter les incompréhensions qui est insuffisamment fait aujourd’hui. Il faut que les donateurs comprennent que les actions et crises médiatiques ne sont pas moins importantes.
CSF
Notre sondage1 fait apparaître qu’une grande majorité de Français souhaitent qu’un organisme contrôle l’appel aux dons et la médiatisation en cas de crise humanitaire, qu’en pensez-vous ?
DB
Plus exactement, la question portait sur un « organe de régulation, de coordination des dons et de la médiatisation ». Le mot « contrôle » n’était pas employé; et ce n’est pas anodin. Le Comité de la charte est bien un organe de contrôle mais pas un organe de coordination des dons et de l a médiatisation. Ce n’est pas du tout la même chose. Je ne sais si un tel comité, comme il en existe en Belgique et en Grande-Bretagne, serait utile : les organisations les plus concernées devraient avoir cette réflexion entre elles. En revanche, un organe de contrôle comme le Comité est pleinement utile et encore plus par rapport à ce type de collecte où les attentes et craintes de l’opinion sont importantes. Les donateurs ne sont absolument pas au courant des contrôles qui existent sur les associations (les plus grandes du moins) et du rôle joué par le Comité. Les médias non plus.
CSF
Comment interprétez-vous la gestion de la crise par les médias pendant le Tsunami notamment dans la position adoptée par les récolteurs de fonds?
DB
Là encore, il ne faut pas avoir l’esprit chagrin et dire que les médias en ont trop fait ! Il faut se rappeler que les médias ont toujours joué un rôle important en matière de collecte de fonds. Les Orphelins d’Auteuil sont nés d’appels dans Le Figaro; La Vie et Radio Luxembourg ont été les premiers soutiens de l’abbé Pierre; les Restaurants du cour sont aussi nés d’appels médiatiques.Il y a des dizaines d’exemples dans l’histoire. Ca continue, tant mieux ! Concernant la polémique, je pense que les médias ont bien joué leur rôle. Il y avait débat; ils l’ont relayé. Et ils ont rapidement compris que la position de Médecins sans frontières était atypique.
CSF
Pourquoi votre organisation n’élargit pas son action et son expertise aux petites et moyennes OSI et ASI ?
DB
Il n’y a bien sûr aucun problème au niveau conceptuel. Ce n’est ni une forme de dédain, ni un système protectionniste pour les gros. Nous n’avons que des raisons très pragmatiques. Il existe en France un million d’associations en activité : il doit bien y en avoir 800 000 qui collectent peu ou prou quelques fonds. La collecte est consubstantielle à la vie associative. Il existe, au niveau national, quelque 200 acteurs au maximum qui collectent de manière plus ou moins continue et avec plus ou moins de succès. Si nous arrivions à nous occuper de tous ceux-là (et à condition qu’ils soient volontaires) ce serait déjà pas mal. Notre dispositif n’est pas exempt de lourdeur. Le « label » que nous donnons constitue un engagement pour le Comité lui-même. Nous appelons les donateurs à « donner en confiance » aux organisations auxquelles nous donnons notre agrément. Nous devons être capables de garantir cela. C’est pourquoi chaque organisation se voit attribuer un censeur bénévole, de haut niveau et indépendant. Il faut les recruter, les former, assurer leur renouvellement. C’est déjà un vaste chantier avec plus de 50 organisations agréées. L’organisation doit aussi se mettre dans un système de gestion plus rigoureux avec des contrôles, des procédures. Il faudrait aussi être sûr que cela convient bien aux petites organisations, celles qui collectent moins de 500 000 euros par an, ce qui est notre minimum actuel. De plus, les organisations modestes collectent en général sur un milieu plus restreint, et entretiennent des liens plus étroits avec leurs donateurs qui connaissent souvent les dirigeants. Ce n’est pas le cas dans les grandes associations qui ont plusieurs centaines de milliers de donateurs. C’est aussi dans celles-ci que, s’il y a un problème, les répercussions seront les plus importantes pour les donateurs et pour l’ensemble du secteur.Bien sûr, la porte n’est pas fermée, le Comité abaissera peut-être un jour son seuil mais pour le moment, notre priorité serait plutôt d’élargir son champ de compétence au-delà du social et humanitaire.
CSF
Comment envisagez-vous l’avenir de la récolte de fonds dans notre pays ?
DB
Sereinement, le tsunami montre que la générosité n’est pas une valeur ringarde. Je suis convaincu que « les babyboomers » devenus les « papyboomers » seront aussi donateurs que les générations précédentes. Et qui plus est, ils sont plus nombreux et vivront plus longtemps. Il y a peut-être un risque d’appauvrissement des retraités à terme d’une vingtaine d’années. A voir. Quoi qu’il en soit, mon optimisme ne dispense pas les associations de s’adapter aux nouveaux outils de communication (Internet par exemple) et de faire évoluer leur communication de collecte. Elles ont bien pris le virage du marketing direct voici près de 30 ans, elles évolueront vers d’autres choses au fil du temps et des évolutions de la société. Sans doute, certains ne suivront pas; c’est déjà le cas aujourd’hui avec le marketing direct.
L’enjeu pour le secteur est d’arriver à convaincre un plus large public à donner. Cela se fera par une communication collective du secteur et par la confiance. Elle n’est pas si mauvaise et peut encore être améliorée. La transparence financière n’est plus guère un problème. Il faut développer la communication rendant compte de l’emploi des fonds. Les meilleurs donateurs sont aussi ceux qui sont les plus sollicités et reçoivent les nombreux mailings qu’ils ressentent comme un gaspillage. Il y a là aussi un problème.
CSF
Existent-ils des normes européennes en la matière?
DB
Les bonnes pratiques n’ont pas de frontières. Il existe une « fédération » internationale des organismes homologues du Comité dont nous faisons partie l’ICFO
(International Committee for Fundraising Organisations) www.icfo.de.L’ICFO est présente dans une quinzaine de pays occidentaux (et plutôt du Nord) et a édicté le « standard des standards » de la déontologie de la collecte qui constituent un peu le socle commun et minimum de nos organismes. Mais les normes nationales vont en général plus loin; c’est le cas des règles du Comité.
En tout cas, on voit que les problèmes que nous nous posons en France se retrouvent de manière quasi identique dans les autres pays. Nous avons d’ailleurs eu un échange avec nos partenaires de l’ICFO sur les suites du tsunami. Notre réflexion et nos actions étaient d’ailleurs plus avancés que celles de nos collègues.
CSF
La récolte de fonds dans les associations est-elle devenue une fin en soi au détriment de leurs objectifs humanistes?
DB
Qui ose dire des choses pareilles !
CSF
Qu’est ce qui vous choque et vous satisfait le plus le plus aujourd’hui dans la récolte de fonds des associations?
DB
Ce qui me choque, c’est que dans notre monde riche, il y ait tant de misère y compris dans les pays riches. C’est un scandale à la face de l’humanité qui doit concerner chaque individu.
Ce qui me choque encore : les esprits chagrins et le manque de professionnalisme. Ce qui me réjouit, c’est l’action menée sur le terrain, par les bénévoles, volontaires et salariés des associations, grâce à la générosité et la solidarité des centaines de milliers de donateurs qui donnent parfois des sommes modestes prises sur leur nécessaire. Tout cela mérite le respect.
1- Sondage réalisé par CSF
Propos recueillis par Communication Sans Frontières®.
© Communication Sans Frontières® mars 2005 – tous droits réservés.
Interview réalisée par mail. Les personnes interviewées reçoivent les questions préalablement par mail.