Olivier Bruyeron « Communiquer ne veut pas dire chercher la visibilité maximale »
Ingénieur agroalimentaire et diplômé en management de l’innovation, Olivier Bruyeron travaille depuis près de 20 ans dans le domaine de la nutrition et de l’agroalimentaire, dont une quinzaine d’années au Gret.
Il a occupé des postes en ONG, dans le secteur privé et en tant que consultant pour des programmes internationaux comme le Programme alimentaire mondial ou l’Organisation mondiale de la Santé, dans une dizaine de pays en France, en Afrique et en Asie. Olivier est directeur général du Gret depuis 2013.
Communication Sans Frontières :
Pouvez-vous exposer brièvement les missions du Gret ?
Olivier Bruyeron :
Le Gret est une ONG de développement qui agit depuis 38 ans, du terrain au politique, pour lutter contre la pauvreté et les inégalités. Il mène 150 projets par an dans une trentaine de pays sur une palette de sept thématiques qui, ensemble, contribuent au développement des pays du Sud : Agriculture, Citoyennetés, Eau potable et assainissement, Gestion des ressources naturelles et énergie, Microfinance et insertion professionnelle, Santé et nutrition, Villes pour tous.
CSF :
Vous êtes directeur du Gret depuis septembre 2013, quelle est votre vision pour l’avenir ?
OB :
La lutte contre la pauvreté et les inégalités ne peut plus s’appréhender exclusivement à l’aune d’une fracture Nord-Sud. Les lignes bougent, et les réponses à apporter restent à inventer et à promouvoir. Le Gret défend une vision du développement solidaire dans une recherche permanente d’innovation. Ces trois prochaines années, le Gret poursuivra dans cette dynamique, en renforçant ses partenariats internationaux, en promouvant des échanges et dynamiques régionales, en pensant les droits humains comme des enjeux globaux dont la défense là-bas est indispensable pour en assurer le respect ici.
Le Gret parle « d’apporter des réponses durables et innovantes pour le développement solidaire », quels seront vos outils de communication?
ONG de terrain, le Gret veut également capitaliser sur ses pratiques et contribuer à faire évoluer les politiques de développement. Il partage les résultats de ses expériences, menées en partenariat au Nord comme au Sud, et encourage le débat pour faire avancer l’innovation pour le développement. Cela passe par de nombreux moyens : l’animation de réseaux et le partage d’expériences en réseau, la communication scientifique (publication de références, séminaires, etc.), le plaidoyer, l’expertise (études et évaluations pour la coopération française ou les gouvernements des pays du Sud par exemple), son fonds d’innovation pour le développement (Find), des outils d’information (lettres, portails) et des outils de communication plus institutionnels (newsletter En lien, etc.)
Pour les ONGS le « branding » est devenu de plus en plus important, avec le développement des nouveaux logos comme chez OXFAM. Quelle va être votre stratégie pour que Le Gret se démarque des autres ONG?
Une particularité du Gret par rapport aux autres ONG est que le grand public ne fait pas partie de nos publics cibles. En effet, nous ne menons pas d’activités d’éducation au développement, de mobilisation citoyenne ou d’appel à la générosité publique. De ce fait, nous communiquons auprès d’un public connaisseur ou initié du secteur du développement ou de la solidarité internationale (pouvoirs publics, bailleurs de fonds, institutions internationales, ONG, professionnels du développement, experts de nos secteurs d’intervention) qui nous connait et nous reconnait souvent grâce à notre capacité à capitaliser sur nos pratiques (publications). Faire le pont entre terrain et politique, c’est une des forces et spécificités du Gret. En termes de branding, nous utilisons cette technique surtout pour donner des noms « communicants » à nos projets de terrain. C’est à la fois une exigence croissante des bailleurs de fonds et un moyen de communiquer sur de grands projets à succès, dont nous souhaitons faire valoir les résultats et les enseignements.
Quelle est la signification de l’acronyme Gret ?
A l’origine, en 1976, Gret signifiait Groupe de recherche et d’échanges technologiques, car son activité était centrée sur le concept des technologies appropriées. En 38 années, le Gret a largement évolué, développant des activités de terrain et élargissant son champ d’innovation aux domaines social, institutionnel, organisationnel, bien au-delà des aspects technique et technologique. C’est pourquoi aujourd’hui nous avons gardé le nom de marque, Gret, mais nous n’utilisons plus l’acronyme. En lieu et place, une baseline, « professionnels du développement solidaire », vient préciser notre identité.
A votre avis, est-ce que les ONG accordent suffisamment d’importance à la communication ? N’est-elle pas toujours reléguée au second plan ?
La communication doit être au service de la stratégie d’une ONG et de ses projets, elle soutient l’atteinte des objectifs spécifiques ou généraux de l’institution et de ses actions. Dans cette mesure, la prise en compte de l’importance de la communication et de sa capacité à contribuer et à multiplier les résultats attendus est relativement récente chez les ONG. Communiquer ne veut pas dire chercher la visibilité maximale, c’est une action stratégique. Qu’elle soit scientifique, sociale, politique, elle confère un véritable pouvoir d’influence qui, mise au service de l’intérêt général, déploie la capacité d’action de l’ONG.
Comment analysez-vous le contexte médiatique dans lequel les ONG évoluent comparativement à la création du Gret il y a 37 ans?
Nous travaillons dans une trentaine de pays donc nos relations avec les médias diffèrent d’un pays à l’autre, en fonction des contextes. Premier lien : le Gret mène des projets de renforcement des entreprises médiatiques au Sud et de formation des journalistes. Récemment, nous avons par exemple mis en œuvre de tels projets dans des contextes électoraux en RDCongo ou au Cameroun, pour favoriser une couverture médiatique déontologique et de qualité auprès des citoyens. Par ailleurs, nous sommes source d’information pour les médias, experts sur nos secteurs d’intervention, nous sommes régulièrement sollicités par des médias scientifiques, professionnels, ou plus généralistes dans le cadre de dossiers de fond, pour creuser un sujet et apporter un œil d’expert, souvent en lien avec nos expertises, publications ou documents de position. Nous sommes enfin amenés nous-mêmes à solliciter les médias quand nous souhaitons mettre en lumière une situation ou une position. Nous sommes parfois confrontés sur nos terrains d’intervention où nous sommes implantés de longue date à des situations de crise (cyclone Nargis au Myanmar, séisme en Haïti, etc.) et dans ces cas-là, nous nous attachons à apporter un éclairage sur le contexte du pays également au-delà de la crise et les enjeux pour le développement après la crise, parallèlement à ce que les ONG urgentistes peuvent être amenées à communiquer aux médias.
Comment a évolué le Gret en termes de communication ? Est-ce que vous avez adapté votre positionnement par rapport aux autre ONG ?
Le Gret professionnalise sa communication depuis 2011, en se dotant d’une stratégie à l’échelle de l’ONG à l’international et de déclinaisons progressives dans ses 12 représentations permanentes en Afrique et en Asie. A l’échelle de projet, il s’attache à la même exigence d’innovation que pour les autres opérations menées, pour ses activités de sensibilisation par exemple. A l’échelle de pays ou internationale, il évolue vers davantage de communication d’influence au service de sa contribution aux politiques et pratiques.
Tenez-vous un blog, ou vous avez une présence sur Twitter/Facebook/ Youtube?
Le Gret n’ayant pas pour cible le grand public, il est peu sur les réseaux sociaux. En revanche, il développe depuis plusieurs années une chaine Dailymotion pour archiver et présenter les vidéos conçues lors d’opérations de communication (projets, interviews filmées, extraits de colloque, etc.)
La révolution des nouveaux média vous inspire ou vous désillusionne ?
Comme toutes les évolutions, tout dépend de leur exploitation. Les nouveaux médias peuvent être un formidable levier de transmission et de mobilisation citoyenne. Dans un monde où tout va plus vite, les actions de développement au service de la lutte contre la pauvreté et les inégalités sont en revanche sur un pas de temps beaucoup plus long, rendant leur usage moins adapté pour nos problématiques.
Le Gret considère que les populations des pays du Sud sont des citoyens acteurs de leur développement et agit avec elles. Quels problèmes de communication rencontrent vos équipes en déplacement ?
Les équipes du Gret dans les pays sont à 90% des salariés nationaux, nous avons peu d’expatriés et les intervenants en déplacement viennent en appui depuis le siège mais ce ne sont pas eux qui mettent en œuvre les opérations de communication. Ce sont des salariés nationaux qui connaissent parfaitement le pays, sa culture, ses contraintes, et sont particulièrement légitimes et en mesure de pouvoir construire des campagnes de communication sociale par exemple pour appuyer des changements de comportement en matière de pratiques d’hygiène et de soins. Selon les pays, les problématiques diffèrent en fonction des cultures, du contexte socio-politique, etc.
Le Find, le fonds de dotation sur l’innovation pour le développement, créé par le Gret en 2011 avec une dotation d’un million d’euros, rassemble des grands donateurs, des entreprises et des individus pour construire ensemble des solutions innovantes pour le développement. Quelle est votre stratégie de communication pour vos bailleurs et le public?
Le Find est un fonds de dotation ayant une existence juridique et une gouvernance propre. Toutefois, créé par le Gret, il est aussi une instance spécifique de l’ONG pour rassembler sur la problématique spécifique de l’innovation des partenaires privilégiés, en sus des partenariats entreprises que le Gret peut par ailleurs mettre en œuvre. Créer ce fonds spécifiquement sur l’innovation témoigne de la volonté du Gret de mettre une énergie particulière et de monter des partenariats stratégiques avec des acteurs privés sur ces questions.
L’importance d’une coordination entres les ONGS devient cruciale, comment gérez- vous vos relations inter-ONG ?
Les réseaux et collectifs d’ONG sont primordiaux pour le Gret. Le Gret a assuré pendant 4 ans la vice présidence de Coordination SUD dont il est aujourd’hui membre, et est administrateur de plusieurs réseaux d’ONG (Groupe initiatives, CFSI, etc.) Les ONG sont plus fortes ensemble, grâce à la complémentarité de leurs expertises, de leurs pouvoirs d’influence, de leurs talents. L’essentiel des activités de plaidoyer du Gret s’inscrit dans le cadre de ces coalitions. Par ailleurs, certains réseaux techniques (Cerise par exemple) permettent d’échanger sur des problématiques bien spécifiques et de renforcer collectivement les connaissances et les compétences de chacun sur un secteur. C’est un lieu d’enrichissement très important, qui ne se cantonne d’ailleurs pas aux collectifs strictement ONG mais peut aussi s’élargir à d’autres acteurs.
Si vous deviez fusionner avec une autre ONG, laquelle choisirez-vous, et pourquoi ?
Aucune ! Parce que le Gret comme chaque ONG a ses spécificités et que c’est dans les partenariats que se renforcent leurs compétences et leur capacité d’action, plus que dans la fusion. Aussi parce que le Gret est déjà une ONG internationale avec 12 pays de représentation permanente : ce qui compte c’est de faire fonctionner en réseau ces bureaux en renforçant leurs compétences, leur autonomie et leurs spécificités, tout en garantissant la cohérence et la cohésion du groupe.
Qu’est-ce qui vous révolte le plus aujourd’hui ?
Le manque de volonté politique sur certains sujets qui sont des marronniers pour les ONG : l’aide publique au développement, les contraintes des bailleurs de fonds qui parfois sont bloquantes pour pouvoir travailler efficacement sur le terrain, l’absence d’engagement contraignant sur le changement climatique dont on constate les conséquences au fil des ans, par exemple. 16Qu’est-ce Les avancées, les projets qui marchent, les structures que l’on crée et qui se pérennisent en toute autonomie, les innovations que l’on teste et réplique ensuite ailleurs pour un impact toujours plus grand contre la pauvreté et les inégalités. Cela motive pour continuer, et se mobiliser sans relâche avec les valeurs en lesquelles nous croyons pour lutter contre la pauvreté et les inégalités avec nos partenaires.
Communication Sans Frontières
Propos recueillis par Claire MacDonald © Communication Sans Frontières® -JUILLET- 2014