François Fatoux « Les ONG possèdent des compétences qui font souvent défaut aux entreprises »
Depuis juin 2000, François Fatoux est délégué général de l’Observatoire sur la Responsabilité Sociale des Entreprises (ORSE), dans lequel sont représentés l’ensemble des fonds éthiques français, des grandes entreprises, des organismes professionnels et sociaux, des ONG et les différentes confédérations syndicales.
Ancien élève de l’Institut politique, il commence sa carrière en tant que juriste en droit social au Centre National d’Information sur le Droit des Femmes.
Il fût ensuite responsable De 1986 à 2002, du service social de la CFE-CGC et gèra le suivi des questions sociales et des enjeux de société (retraites, famille, santé, égalité hommes/femmes…). François Fatoux est membre du Statekolder Council du Global Reporting Initiative (GRI) depuis 2004. Son domaine de prédilection étant le développement durable, il enseigne ce sujet dans divers établissements tels que le Master développement durable d’HEC, l’ESC de Reims, l’Ecole des Mines de Paris et Paris Dauphine.
Communication Sans Frontières
Vous êtes le délégué général de l’ORSE, l’Observatoire de la Responsabilité Sociétale des Entreprises, pouvez-vous nous décrire l’activité de cet observatoire ?
François Fatoux
C’est une association loi 1901 qui a été créée en juin 2000. L’ORSE exerce pour le compte de ses adhérents, (une centaine de grandes entreprises, sociétés de gestion de portefeuille, organismes professionnels, syndicats de salariés, ONG), une veille permanente sur la responsabilité sociale et environnementale des entreprises, le développement durable et l’investissement socialement responsable (ISR) en France, en Europe et à l’international.
CSF :
Contrairement au développement durable, concept mieux connu du grand public, la responsabilité sociétale des entreprises est encore un terme moins bien compris, pourriez-vous nous éclairer ? Existe-il un lien entre les deux ?
FF :
Nous considérons que la RSE est la contribution des entreprises au développement durable. Sur le concept de RSE, nous nous appuyons sur la définition qu’en a donné la Commission européenne dans le livre vert qu’elle a fait paraître en 2001, à savoir : « L’intégration volontaire des préoccupations sociales et écologiques des entreprises à leurs activités commerciales et à leurs relations avec toutes les parties prenantes internes et externes (actionnaires, salariés, clients, fournisseurs , riverains…).
CSF :
L’ORSE a publié un rapport en juin 2005 concernant les partenariats stratégiques ONG/entreprises. Connaissant pourtant les relations parfois tendues entre entreprises et ONG, de tels partenariats semblent devenir incontournables . Quels en sont les perspectives et les enjeux?
FF :
Alors que les relations ONG-Entreprises sont généralement perçues comme plutôt conflictuelles voire très hostiles, un changement de cap dans les dernières années a ouvert la voie à un nouveau type d’échange. Bien que la veille et la contestation demeurent au cœur des démarches des ONG, entreprises et ONG semblent trouver un terrain d’entente et d’échange grandissant. Cet échange dépasse de loin les relations unilatérales telles que le mécénat et la philanthropie d’entreprise ou bien les attaques proférées à l’égard d’une entreprise par une ONG dénonçant son comportement peu éthique.
CSF :
Nous connaissons les partenariats classiques, mécénats et sponsoring. Quel est le sens d’un partenariat stratégique, intégré dans une politique de RSE ?
FF :
Les partenariats stratégiques constituent une véritable alliance entre les entreprises et les ONG. Ils sont liés à leurs cœurs de métier, incluent des échanges de connaissances et d’expertises, un travail commun dans une même direction et la construction de relations durables.
CSF :
Quels sont les limites et les risques pour chacune des deux parties ?
FF :
Ce n’est pas parce qu’elle engage un partenariat avec une ONG qu’une entreprise se protège de ses attaques. Elle court même le risque de s’exposer davantage. Les ONG affirment par ailleurs qu’elles ne feront pas davantage de concession avec une entreprise partenaire.Cependant la pression d’une ONG sur une entreprise débouche fréquemment sur une coopération active, et il est plus probable q’une ONG avertisse une entreprise de l’imminence d’une campagne si leur partenariat est solide dans une autre domaine.
Les ONG, quant à elles, mettent en jeu leur réputation si elles s’associent à des entreprises qui ne sont pas à la hauteur des attentes de leurs membres et de leurs pairs. Afin de ne pas mettre en péril leur crédibilité, certaines ONG appliquent leurs propres critères pour s’engager dans un partenariat, et introduisent des clauses strictes lors de la formalisation du partenariat. Une ONG peut également être manipulée par une entreprise peu scrupuleuse qui chercherait à déstabiliser une concurrente, en l’entraînant vers des sujets qui pourraient nuire à cette dernière.
Nous avons identifié 8 pistes de succès pour que ces partenariats puissent fonctionner :
1. Prendre le temps de bien se connaître
2. Beaucoup discuter, en toute franchise
3. Formaliser un partenariat clair et précis
4. S’engager au plus haut niveau
5. S’assurer du soutien des parties prenantes
6. Bien définir les moyens humains et financiers du partenariats
7. Bien maîtriser sa communication
8. Rester vigilant tout au long du partenariat
CSF :
Certains rapprochements entre entreprises et associations sont parfois critiqués tels que par exemple Shell et Greenpeace, ou Carrefour et le FIDH (Fédération Internationale des Droits de l’Homme) et bien d’autres encore. Quel regard portez-vous sur ces rapprochements ?
FF :
Il n’est pas dans notre mission de juger l’action des entreprises ou des ONG. Nous pouvons seulement relever un certain nombre de points qui dans le cadre d’un partenariat peuvent poser problème. Nous avons élaboré une check-list des « thématiques pouvant être abordées lors de l’élaboration d’une convention de partenariat ONG/Entreprises » pour faciliter le travail de ceux qui veulent s’engager dans la démarche.
CSF :
Ce type de partenariat ne nuit-il pas à l’indépendance fondamentale des ONG ?
FF :
Les ONG qui s’inscrivent dans une démarche de partenariat n’entendent pas pour autant sacrifier à leur indépendance (il ne s’agit pas d’une « police d’assurance » contre des attaques de l’ONG). C’est un point qui est souvent évoqué dans le cadre de la convention qui sera signée entre les 2 parties. En revanche, il est plus probable qu’une ONG avertisse une entreprise de l’imminence d’une campagne s’il existe déjà entre elles un solide partenariat dans un autre domaine.
CSF :
La recherche d’une médiatisation n’est elle pas en définitive le moteur essentiel de ces rapprochements ONG/ entreprises ?
FF :
Tout dépend de la nature du partenariat.. Les ONG possèdent des compétences qui font souvent défaut aux entreprises. Elles peuvent ainsi avoir une connaissance approfondie de certaines zones géographiques, ou bien d’aspects sociaux et environnementaux spécifiques auxquels l’entreprise n’est pas accoutumée. Dans ce type de situation, l’entreprise exprime un besoin d’expertise et non de médiatisation de sa démarche.
CSF :
Dans un article paru dans le Monde Economie du 10 mai 2006, la présidente de l’ORSE Claire Isnard, énonce que ces partenariats font l’objet de nombreuses interrogations notamment sur le fait qu’ils ne pourraient « faire face aux grands défis planétaires ». Quel est votre sentiment sur le sujet?
FF :
Ces partenariats ne sont pas de nature à faire face aux grands défis planétaires tels que la lutte contre la pauvreté ou le réchauffement climatique car les moyens financiers qu’ils drainent au profit des ONG sont très faibles. Mais leur intérêt est ailleurs. Pour l’ORSE, les partenariats ont même un double intérêt :– interpeller les pouvoirs publics sur leurs responsabilités et leur incapacité à traiter des grands enjeux du développement durable. Dans le domaine de la lutte contre le Sida en Afrique par exemple, c’est l’action concertée de certaines grandes ONG et entreprises (pour ces dernières confrontées à ce fléau pour leurs salariés et leur environnement local) qui a permis d’ouvrir un débat sur les questions de prévention et de traitement des populations.
Dans le domaine de la lutte contre la corruption, c’est l’interpellation des ONG en direction des entreprises (initiative « publiez ce que vous payez dans l’industrie pétrolière ») accompagnée d’une logique de partenariat qui a permis de mettre en avant cet enjeu dans le cadre des négociations internationales. Dans ce cas, la soft law précède l’instauration de règles de droit internationales.
– créer de nouvelles formes de dialogue au sein de l’entreprise au-delà du dialogue social traditionnel. C’est à la fois une opportunité mais aussi un risque car les entreprises peuvent être tentées d’ajouter au dialogue social traditionnel avec des interlocuteurs syndicaux qui s’imposent d’eux-mêmes un dialogue sociétal avec des ONG qu’elles ont librement choisi.
CSF :
Dans ce même article, madame Isnard insiste sur « la nécessité pour les entreprises d’impliquer les syndicats et les représentants des salariés dans les démarches de partenariat avec les ONG ». Pourriez-vous nous expliquer pourquoi ?
FF :
Cela est indispensable si l’on veut que l’ensemble des salariés de l’entreprise partage les valeurs du groupe et n’y voient pas une opération de marketing.
CSF :
La RSE n’incite t-elle pas les entreprises à jeter de la poudre au yeux aux actionnaires et décideurs financiers?
FF :
La RSE a pour mission de concilier les enjeux financiers, sociaux et environnementaux. Là où les entreprises ont encore besoin de progresser, c’est dans la démonstration que des démarches de RSE crée de la valeur. Cette démonstration reste encore problématique car nous manquons encore d’indicateurs financiers qui mesurent les démarches de développement durable.
CSF :
Quelle garantie offre t-elle dans la construction d’une relation de long terme avec non seulement les Ong mais surtout au regard des causes quelles défendent ?
FF :
Une démarche de RSE doit s’inscrire dans le projet stratégique de l’entreprise où l’ensemble des enjeux (sociaux, économiques et environnementaux), l’ensemble des fonctions de l’entreprise (ressources humaines, achats, marketing, juridique, environnement, qualité, direction financière,…) est géré en cohérence. C’est cette cohérence qui va permettre de s’assurer que l’entreprise s’inscrive dans une démarche de long terme et de pérennité (conditions de sa « licence to operate »).
CSF :
Qu’est ce qui vous révolte le plus aujourd’hui ?
FF :
La difficulté d’approcher les questions de développement durable et de responsabilité sociétale des entreprises en Afrique. J’ai l’impression que ce continent reste à l’écart des débats ou des initiatives de promotion avec des entreprises peu engagées dans ces démarches. Je prends pour exemple le fait que dans tous les continents se sont créés des réseaux d’entreprise comme l’ORSE (aussi bien en Europe, en Asie en Amérique du Nord qu’en Amérique latine) et que je ne vois rien de tel pour l’Afrique. Autre problème est celui de ce que certains appellent la « malédiction de l’or noir », malédiction qui concerne les pays qui ont des matières premières (pétrole, diamants, cuivre,…) et qui sont tous confrontés à des questions de corruption, de guerre civile et de sous développement. Il est presque à espérer que ces pays n’aient pas de matières premières pour échapper à cette malédiction.
CSF :
Et ce qui vous satisfait ?
FF :
Aujourd’hui l’émergence du développement durable dans les entreprises permet d’établir des passerelles ou des échanges entres des publics qui s’ignorer ou qui au pire étaient dans une logique d’affrontement. Je vois maintenant des syndicalistes discuter avec des investisseurs qui discutent avec des ONG qui discutent avec des responsables achats dans les entreprises ou avec des responsables de la communication financière. C’est une petite révolution culturelle qui est en train de s’opérer notamment au niveau des langages propres à chacun de ces publics. Cela mettra du temps d’où la nécessité de poser ces questions de développement durable le plus en amont possible notamment dans le cadre des cursus scolaires et universitaires.
Propos recueillis par Sandrine Tabard.
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