Quand la communication solidaire et la communication corporate se rencontrent

La communication solidaire et la communication corporate diffèrent dans leurs objectifs : l’une entend améliorer la vie des gens en situation de vulnérabilité et l’autre veut maximiser le profit. Or, l’utilisation des canaux mis en œuvre dans leurs propres stratégies de communication laisse apparaître une homogénéisation des deux secteurs.

Rédigé par Jonathan PAUL, Raul CATALAN, Amélie BOSSOMO

Une homogénéisation dès le recrutement

© Action contre la Faim

Les missions humanitaires ne datent pas d’hier dans la société. Au cours des siècles, elles ont donné naissance à de nouvelles structures organisationnelles dont l’intention est d’améliorer des vies et de subvenir aux besoins  des  populations en situation de vulnérabilité. Ces structures, communément appelées organismes humanitaires, regroupent des associations,  des organisations non gouvernementales, la Croix Rouge et les agences de l’organisation des Nations Unies qui ont besoin de dons et de financements pour réaliser leur mission et pérenniser leurs actions dans le temps.

Dans cette perspective, il est nécessaire pour ces organismes de mettre en œuvre des stratégies de communication. C’est pourquoi ils recrutent désormais des professionnels de la communication dont les compétences permettent d’attirer  des donateurs,  tout en développant  la notoriété de leurs employeurs, dans un contexte humanitaire concurrentiel.

Toutefois, ce ne sont pas toujours des professionnels issus d’une formation en communication humanitaire et solidaire. Dans la plupart des cas, ils proviennent des écoles de commerce, lesquelles mettent l’accent sur des stratégies de marketing et de communication. Jean-Baptiste Matray, directeur de la communication et du développement chez Médecin Du Monde en est un exemple. Dans le podcast du fundraising, en partenariat avec  l’Association française des fundraisers, il affirme : « Je ne suis pas issu du milieu associatif pur, j’ai commencé ma carrière dans le conseil et les stratégies de communication pour de grandes marques comme Danone, Total… Sony. » Ce professionnel issu des Hautes études de commerce (HEC), précise également dans la suite de l’interview que « le fundraising est ce qui permet aux associations d’avoir une indépendance politique et financière ». Par ailleurs, les outils classiques utilisés par les entreprises tels que les médias et les canaux hors médias qui permettent une certaine rentabilité sont également mis en œuvre dans les stratégies de communication des ONG. Les techniques de marketing, les réseaux sociaux, les relations publiques et l’événementiel  – entre autres – deviennent donc nécessaires pour augmenter la visibilité des ONG, toucher une plus grande cible, attirer des donateurs et collecter les fonds nécessaires à la mise en place de leurs activités.

L’intégration du marketing par les ONG est-elle nécessaire ?

En 2015, Médecins du monde recrute l’agence de communication DDB de Paris  pour mettre en place la Campagne « No Excuses » focalisée sur les refus rencontrés par des bénévoles de l’association lors d’opérations de “street marketing”. L’ONG a voulu rappeler que les personnes rencontrées dans la rue pouvaient faire un don à n’importe quelle heure de la journée ou de la nuit sur le site de l’association. Toutefois, si l’objectif était d’attirer l’attention du grand public, cela n’a pas réussi à 100 %. 

Au contraire, la campagne a suscité  certains commentaires négatifs. Le blog Indiscipline, mouvement intellectuel critique, a notamment  mené une contre-campagne envers MDM avec des arguments judicieux. 

Le message que MDM a fait passer au public  était certes  pertinent, mais il manquait  de rigueur informative. Il aurait fallu se poser ce type de questions : pourquoi le public ne donne-t-il pas ? Par manque de volonté ? Donne-t-il déjà à une autre ONG ? Défend-il  une autre cause ?

On constate ici l’une des dérives du  marketing adapté aux ONG. Si l’objectif de cette campagne était d’interpeller et de susciter l’adhésion du public vis-à-vis des actions de Médecins du monde, cela a  en fait créé un sentiment de culpabilité chez les donateurs potentiels qui ont finalement plutôt décidé de ne pas devenir donateurs… D’où le regard critique porté par Joëlle Le Marec, professeur à l’université Paris Sorbonne et membre du Comité scientifique de Communication sans frontières (CSF). Dans le blog Indiscipline, elle dénonce l’utilisation détournée du marketing par les ONG, notamment la dite campagne de MDM.

Et l’éthique dans tout ça?

Les organisations de solidarité internationale sont confrontées à des impératifs éthiques  lorsqu’elles se lancent dans la communication corporate. Chez CSF, il y a la volonté d’élaborer une charte éthique avec des professionnels de la communication mais le débat est loin d’être clos… Certains secteurs continuent à considérer les communicants comme des simples exécutants. L’éthique des ONG correspond au côté non lucratif de l’organisation et au respect de principes humanitaires : agir en toute neutralité et être impartial  pour garantir l’accès de l’aide aux bénéficiaires. 

Comme l’a déclaré Nicole d’Almeida, professeure des universités en sciences de l’information et de la communication à l’université Paris-Sorbonne et membre du Comité scientifique de CSF, il faudrait « repenser la communication, repenser la solidarité… développer une plateforme qui change, contraste avec les décennies de communication publicitaire et  promotionnelle liée à des modes de consommation pour revenir à des liens sociaux  ». 

Autrement dit, il s’agit d’utiliser les techniques du marketing d’entreprise pour sensibiliser et fédérer le public autour d’une cause. Le principe est d’aller au-delà de l’idée d’un gain financier, qui est l’objectif final du marketing d’entreprise, pour mettre le bien-être des humains au centre de la stratégie des organisations de solidarité.

Communication d’entreprise et communication des ONG, même combat ? Objectifs et pratiques : quelles différences, quels rapprochements ?

Illustration de Titom

Photo par Tayla Kohler sur Unsplash

Une pratique qui pousse au débat

Les organisations de solidarité internationale sont confrontées à des impératifs éthiques lorsqu’elles se lancent dans la communication corporate. Chez CSF, il y a la volonté d’élaborer une charte éthique avec des professionnels de la communication mais le débat est loin d’être clos, certains secteurs continuent à considérer les communicants comme des simples exécutants. L’éthique des ONG correspond au côté non lucratif de l’organisation et au respect de principes humanitaires : agir en toute neutralité et être impartial  pour garantir l’accès de l’aide aux bénéficiaires. 

Comme l’a déclaré Nicole d’Almeida, professeure des universités en sciences de l’information et de la communication à l’université Paris-Sorbonne et membre du Comité scientifique de CSF, il faudrait « repenser la communication, repenser la solidarité… développer une plateforme qui change, contraste avec les décennies de communication publicitaire et  promotionnelle liée à des modes de consommation pour revenir à des liens sociaux  ». 

Autrement dit, il s’agit d’utiliser les techniques du marketing d’entreprise pour sensibiliser et fédérer le public autour d’une cause. Le principe est d’aller au-delà de l’idée d’un gain financier, qui est l’objectif final du marketing d’entreprise, pour mettre le bien-être des humains au centre de la stratégie des organisations de solidarité.

L’utilisation du marketing, une nécessité pour les ONG?

Les techniques de marketing permettent également à une ONG de cibler précisément son public, et ainsi de lui proposer des informations sur les projets qui sont susceptibles de le toucher, en l’amenant, plus efficacement, à faire des dons. C’est aussi un outil qui  suppose d’être sans cesse à l’écoute. Cela permet également aux organisations de comprendre plus clairement les différents besoins d’une zone d’aide et de prévoir les moyens nécessaires  à mobiliser.  

Finalement, les intentions et les  pratiques du marketing d’entreprise et du marketing humanitaire ne sont pas semblables, mais l’utilisation de ces techniques permet aux ONG d’avoir une influence plus importante dans la sphère publique. Elles sont plus présentes, plus regardées, plus écoutées et plus persuasives. Si le marketing est nécessaire aux ONG mais que sa pratique dénature les valeurs de l’humanitaire, son utilisation peut-elle être éthique ?

Mieux s’outiller pour mieux agir

Pour une entreprise comme pour une organisation à but humanitaire, la réussite de la communication dépend, d’une part, de  la stratégie choisie  et d’autre part, du choix des meilleurs canaux de communication permettant de toucher facilement la cible voulue en temps opportun. Toutefois, il est crucial pour les organisations d’adopter des stratégies de communication qui riment avec leur mission, leur vision et leurs valeurs. En agissant ainsi, l’objectif sera soit de créer un sentiment de culpabilité chez le public, soit de le responsabiliser.  

La panoplie des outils de communication choisis peut être adaptée ou non aux pratiques des organismes humanitaires. Le “street marketing” est par exemple, un outil que ces organismes  intègrent souvent dans leurs stratégies de communication.  Cette action d’accroche directe dans la rue permet de toucher un grand nombre de personnes sans avoir à investir des sommes trop importantes. D’où son succès. De fait, ce type de stratégies de marketing influence le public, le pousse à adhérer à la cause  d’une ONG pour ensuite lui faire un don, dans le meilleur des cas.

Le jeu de la transparence… la communication humanitaire en quête d’une identité propre

À la différence des gouvernements locaux, des politiques, des médias ou des entreprises, les citoyens attendent beaucoup des ONG. Mais celles-ci sont-elles encore en phase avec la société et les générations qui viennent ? Les sollicitations marketing des ONG auprès des donateurs sont parfois outrancières. Cela crée alors souvent des stigmates ou des caricatures de la réalité, en complet décalage avec les attentes de solutions. 

On peut avoir  l’impression qu’au lieu de soutenir les populations en difficulté, la  communication humanitaire actuelle se prête uniquement au jeu du marketing d’entreprise. Elle enferme les bénéficiaires de l’aide dans des représentations misérabilistes et parfois indignes. La critique et l’opposition à ces pratiques s’expriment de plus en plus souvent et méritent une prise de conscience, un questionnement sur l’identité intrinsèque des ONG.

Cette campagne fut lancée en 1998 par Action contre la faim. Benoît Miribel, directeur général d’ACF en 2022, admet lors d’une interview à Communication Sans Frontières que « ACF est restée longtemps une ONG frileuse en termes de communication et de collecte de fonds. Or, les fonds privés sont un élément indispensable pour la flexibilité des programmes et c’est pourquoi les ONG se retrouvent en position de concurrence vis-à-vis des donateurs particuliers ». 

 

Sur le rapport d’ACF avec l’éthique, notamment en ce qui concerne le respect des bénéficiaires, Benoît Miribel précise que « la question éthique est au cœur de ce que nous faisons, et on ne peut pas accepter ce qui va tout d’abord à l’encontre des principes humanitaires et de la dignité de la personne. Nous avons en interne des repères écrits (charte, projet associatif, etc.) et pour chaque nouvelle opération de communication, celle-ci fait l’objet d’une discussion avec notre Bureau ».

En fondant leur communication sur des mécanismes publicitaires et commerciaux, les ONG prennent le risque de choquer, de distordre la réalité, de concourir sans le vouloir à la désinformation médiatique. Sur ce point, leur crédibilité peut être mise en jeu. En tant que structures de la société civile, les ONG gagneraient certainement à mettre le bénéficiaire au centre de l’élaboration de leur communication. Ainsi, seulement, parviendront-elles à mobiliser  au maximum  les générations présentes et à venir.

Chap. 1

Démocratie ? Espace public ? Quésaco ?

Chap. 2

Quand la communication humanitaire et la communication d’entreprise se rencontrent

Chap. 3

Les nouveaux défis de la communication solidaire à l’ère du numérique

Chap. 4

Quand le monde de l’entreprise bouleverse celui de l’humanitaire et de la solidarité

Chap. 5

L’adaptation du secteur lucratif aux valeurs de la solidarité