Les nouveaux défis de la communication solidaire à l’ère du numérique

Avec l’avènement du numérique et l’apparition des réseaux sociaux, les acteurs de la solidarité s’inscrivent dans un nouvel espace public numérique accessible et ouvert à tous. Mais de quoi parle-t-on vraiment ? Quelles sont les caractéristiques de ce nouvel espace public ? En quoi peut-il transformer et influencer la communication des ONG ? Quels sont les défis et les dangers générés par les nouvelles technologies de l’information ?

Rédigé par Sarah BERRADJ

« On ne peut pas se lancer dans l’espace public numérique sans avoir des compétences et une stratégie bien spécifique. »

Dana POPESCU-JOURDYResponsable du Master Communication, humanitaire et solidarité de l’Institut de la Communication à l’université Lyon 2, Lyon 2

Photo de Clay Banks sur Unsplash

La fonction de plaidoyer dans l’œil du cyclone

Ce qui est en cause, c’est un nouvel espace public qui renverse les codes de l’information. Selon Dana Popescu, l’avènement de cet espace public numérique a d’abord entraîné « un phénomène d’hybridation des médias traditionnels et conversationnels » (interactions sur les réseaux sociaux). Les médias vont co-construire l’actualité avec le lecteur en intégrant par exemple dans leurs articles des publications extraites des réseaux sociaux.

Le « crowdsourcing » (production participative) est également une pratique bien répandue qui fait appel à la participation du grand public pour récolter différentes ressources. Hannah Wise, journaliste au Dallas Morning News, n’avait pas hésité à solliciter la foule pour récolter des informations sur les immigrés lors du « Travel ban  » imposé par Donald Trump. (Lien hyperlink associé : « J’ai créé un Google Form, un formulaire en ligne rapide et gratuit, demandant aux lecteurs immigrants de partager leurs histoires avec le journal. »)

États-Unis, 27 janvier 2017 – Travel ban 

Finalement, cette hybridation des médias permet-elle de respecter les missions principales de la presse d’information ? Peut-on assurer l’exactitude des informations dans un espace où se confrontent toutes sortes d’opinions ? D’autre part, les sources d’informations peuvent-elles être fiables si n’importe qui se proclame journaliste ? Nous assistons vraisemblablement à une dilution du rapport aux sources d’informations, remettant en question une forme de légitimité liée à la prise de parole dans l’espace public. Par conséquent, les acteurs de la solidarité se voient contraints d’ adapter leurs discours pour s’inscrire dans ces nouvelles tendances. 

Un nouveau paradigme

L’espace public numérique a également placé l’émotion au cœur de la stratégie communicationnelle des ONG. Selon Dana Popescu, « le paradigme émotion/action semble remplacer notre conception de la citoyenneté basée sur l’articulation information/opinion/action ».

L’action restera toujours l’étape finale, mais sera en lien direct avec « l’émotion », sans passer par l’intermédiaire « opinion ». Le citoyen agit alors sous le coup d’une impulsion émotionnelle, là où son engagement était auparavant défini comme une cohérence entre « valeurs » et « action » sur le long terme. « Il faut faire attention à l’équilibre entre le discours basé sur l’information et le discours basé sur l’émotion », souligne encore Dana Popescu-Jourdy. 

« L’ONG doit nécessairement investir l’espace public numérique pour exister en tant qu’acteur de l’action solidaire, gagner en visibilité, faire entendre son discours et atteindre ses cibles. »

Dana POPESCU-JOURDY

L’émotion deviendrait-elle une dimension constitutive du don ?

Les stratégies communicationnelles des ONG valorisent des campagnes « choc » et une participation citoyenne de plus en plus affirmée. Par exemple, l’ONG Charity Water avait opté pour une stratégie de la transparence afin de financer un programme ayant comme bénéficiaires un million de personnes en Afrique et en Asie. Sa campagne de communication réalisée sur les réseaux sociaux avait permis de renforcer l’engagement du public et de faire communauté. Elle avait alors utilisé le “storytelling” pour mettre en scène l’organisation et montrer aux donateurs l’impact spécifique de leurs contributions. L’ONG postait régulièrement des photos des bénéficiaires et indiquait les coordonnées GPS de ses actions. Cette campagne réalisée sur les réseaux sociaux a finalement permis à Charity Water de collecter 10 millions de dollars en à peine un an, auprès de 50 000 donateurs. 

La communication digitale des ONG s’inscrit dans le cadre de l’espace public numérique afin de répondre aux nouvelles formes d’engagement citoyen. Elle met en avant le rôle de l’internaute placé alors au centre de la communication et de l’action de l’ONG. 

« Les réseaux sociaux renforcent ce principe et permettent de créer des relations, et de faire communauté », confirme également Dana Popescu. Une fois que l’on « fait communauté », il est plus simple de demander aux followers de donner de l’argent et de diffuser l’information. 

Le témoignage de Benoit Miribel – « L’émotion un facteur essentiel de l’indignation et de la mobilisation » est disponible ici.  

Finalement, les communautés d’internautes participent directement aux actions de plaidoyer (propositions de thématiques, de type d’actions, d’argumentations). En contrepartie, cette participation va renforcer la légitimité de l’ONG et donner plus de visibilité à ses actions. Les stratégies de communication digitale des ONG constituent une forme de reparamétrage de la participation citoyenne et vont faire émerger de nouveaux modes d’engagement, d’éducation et de valorisation de l’action solidaire. 

Photo de Kevin Ku sur Unsplah

Les nouveaux défis de la cybersécurité


Dans un monde où le web est le terrain de jeu de tous types de hackers, la nécessité de sécuriser les données est devenue vitale. Ces dernières années, les ONG ont pris conscience des potentiels dangers informatiques et elles souhaitent désormais se protéger. Assurer leur sécurité sur le web, c’est préserver leurs forces, leurs valeurs, leurs moyens informationnels, humains ou financiers ainsi que leurs donateurs et soutiens.

Lutter contre la cybercriminalité, un enjeu majeur

Le cyberespace introduit de nombreux risques au sein d’une société. Les cyberattaques visent la fuite des données d’une organisation, le contrôle à distance de nombreuses ressources ou encore l’introduction de différents programmes malveillants.

Certaines organisations possèdent une culture de la sécurité et disposent de moyens financiers, organisationnels, humains et technologiques afin d’assurer la sécurité de leur système d’information. D’autres n’ont pas ces moyens et se retrouvent démunies face à la cybercriminalité.

Pour assurer leur cybersécurité, les ONG doivent mettre en place des mesures préventives afin de détecter au plus tôt les éventuelles menaces. L’accroissement des capacités de transfert et de traitement de données ainsi que la démocratisation des technologies constituent un défi important pour arriver à détecter ces menaces. La législation en matière de traitement et de protection des données représente également un facteur qui pousse les entreprises à considérer leur sécurité sur le web. Il y a aujourd’hui de nombreuses lois encadrant les données digitales ainsi que les activités publiques et privées. C’est le cas du Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) dont le but est de renforcer la protection des personnes au regard de l’exploitation de leurs données. Pour les hackers malveillants, ces données sont de réelles marchandises… Il est donc nécessaire de les protéger !

Heureusement, les hackers ne sont pas tous de grands méchants loups. Il existe également des hackers éthiques. Les hackers sont les professionnels les plus qualifiés en ce qui concerne la cybersécurité, et certains n’hésitent pas à mettre leurs compétences au service du bien.

Le « Bug Bounty » ou comment collaborer avec les hackers

Qu’est-ce que le « Bug Bounty  » ? Et en quoi est-ce bénéfique pour une ONG ? Le principe est simple : les hackers éthiques sont chargés de déceler des vulnérabilités dans les systèmes informatiques des organisations, et le premier de ces hackers à trouver une faille obtient une récompense. Les failles sont alors mesurées, classées, et typées afin d’accorder une récompense équivalente à la faille. Financièrement, l’ONG en sort gagnante puisqu’elle ne récompense le hacker que lorsqu’une faille est trouvée. Le « Bug Bounty  » permet ainsi aux ONG parties prenantes une accessibilité à la cybersécurité. 

Il est primordial que les adresses, les systèmes et la gestion des noms impliqués dans l’acheminement des données soient disponibles, fiables et sécurisés. Finalement, sécuriser ces données suppose une gestion efficace des ressources d’une ONG afin d’offrir les plus hauts niveaux de sécurité aux bénévoles, aux donateurs et au personnel de l’organisation. L’ONG doit prendre conscience des risques présents dans le cyberespace et doit garantir la protection de ses soutiens, au risque de les perdre ou de les mettre en danger.

Crédit : Pixabay License

La communication terrain : une retranscription fidèle de la réalité ?

La communication terrain permet de collecter des informations concrètes sur les actions de l’organisation afin de les transmettre au public. Pour communiquer au mieux, les ONG doivent avoir une connaissance précise de l’environnement et du contexte socio-historique qui expliquent en partie la réalité du terrain.

La communication terrain se traduit par un contact direct avec les bénéficiaires, les acteurs locaux, la presse et les médias.  Le communicant terrain doit non seulement pouvoir analyser, comprendre et agir en fonction d’une situation, mais il doit aussi s’assurer que l’information recueillie est traitée sous un angle éthique. En résumé, la responsabilité du communicant est de retransmettre au mieux la réalité du terrain.

Poser les bonnes questions : une responsabilité du communicant terrain

Florian Seriex, photographe et chargé de communication terrain pour le CICR (Comité international de la Croix-Rouge), aborde la spécificité et la complexité du travail de terrain : « A chacun d’entre nous de se poser les questions pertinentes. Le communicant terrain doit avoir du recul pour mener au mieux ses missions et choisir quelles informations doivent être envoyées au siège pour leur publication. »

Oui, le numérique a permis des avancées majeures en matière de communication et d’information. Toutefois, certaines pratiques communicationnelles remettent parfois en cause l’éthique et le discours des ONG. Une question se pose alors : la réalité du terrain peut-elle être fidèlement retranscrite à l’ère du numérique ?

Comme nous l’avons évoqué dans la partie sur le plaidoyer numérique, l’émotion se retrouve au cœur des stratégies communicationnelles des acteurs de la solidarité. Les réseaux sociaux sont particulièrement utilisés pour diffuser leurs messages puisqu’ils permettent d’atteindre un public plus large. Les ONG vont alors décrire une situation complexe en quelques phrases et en utilisant des images « choc » pour susciter l’émotion du public.

Respect de la vie privée et droit à l’information : une relation ambiguë

Il arrive aussi parfois que des ONG empruntent des images sans l’autorisation de la personne photographiée. Dans ce cas, les ONG utilisent-elles la vulnérabilité des victimes pour mieux instrumentaliser leurs vies ? Finalement, il faudrait toujours se demander si les bénéficiaires donnent leur accord avant l’utilisation de leurs images, de leurs témoignages, et avant d’être exposés sur tel ou tel média. Florian Seriex confirme que le communicant terrain devrait s’assurer de tout cela avant la diffusion d’une quelconque information.

Certaines ONG, parfois concurrentes entre elles, se retrouvent en fait prises dans une course à l’information préjudiciable aux bénéficiaires de leurs actions ou aux témoins sollicités. La communication terrain met alors en lumière la relation parfois ambiguë entre le respect de la vie privée et  le choix d’informer sur tel ou tel aspect de l’action d’une organisation. Quelles sont les limites à ne pas franchir ? Finalement, doit-on raconter une histoire à tout prix ?

Le numérique représente certes un moyen de retranscrire fidèlement la réalité du terrain, mais pour éviter certaines dérives, le respect d’un code éthique et une professionnalisation des ONG devraient être de mise.

Des pistes de réflexion autour de la professionnalisation du monde humanitaire sont abordées dans le prochain article !

Chap. 1

Démocratie ? Espace public ? Quésaco ?

Chap. 2

Quand la communication humanitaire et la communication d’entreprise se rencontrent

Chap. 3

Les nouveaux défis de la communication solidaire à l’ère du numérique

Chap. 4

Quand le monde de l’entreprise bouleverse celui de l’humanitaire et de la solidarité

Chap. 5

L’adaptation du secteur lucratif aux valeurs de la solidarité